Dans le monde très opportuniste des Mmorpg, Secret World fait figure Ă la fois de challenger et d’iconoclaste. Alors que la majoritĂ© des titres empruntent leur thĂ©matique Ă l’univers de la fantasy ou de la science-fiction, le jeu de Funcom trouve son originalitĂ© en proposant une expĂ©rience de jeu dans un univers contemporain, dans des lieux existant rĂ©ellement, comme par exemple la ville de Kingsmouth (enfin sans les zombies), petite bourgade amĂ©ricaine situĂ©e dans le Maine. La storyline oppose trois factions, ou plus prĂ©cisĂ©ment trois sociĂ©tĂ©s secrètes : les Illuminati, les Templiers, et les Dragons.
En dĂ©couvrant le jeu lors de sa sortie en juillet 2012, j’avais personnellement Ă©tĂ© particulièrement attirĂ© par le concept novateur de proposer une expĂ©rience virtuelle dans un contexte « rĂ©aliste » (nous parlons bien du dĂ©corum et de la gĂ©ographie des lieux). Par le passĂ©, il y avait eu des projets similaires jamais rĂ©ellement achevĂ©s (comme un jeu basĂ© sur l’univers de Matrix qui semblait bien parti), ou des effets de mode très Ă©phĂ©mères (The Second Life), mais Ă chaque fois, la difficultĂ© d’associer un vĂ©ritable contenu ludique avait finalement fait dĂ©faut et rĂ©vĂ©lĂ© un produit vide, l’intĂ©rĂŞt se limitant aux premiers Ă©brouements et Ă©merveillements d’une toute nouvelle rĂ©alitĂ© virtuelle. Alors, The Secret World, novateur en quoi ? Essentiellement, pour sa ligne scĂ©naristique Ă la fois ambitieuse et risquĂ©e, mais Ă©galement en grande partie pour ses mĂ©canismes de jeu, Ă la fois bien pensĂ©s et suffisamment originaux pour s’avĂ©rer jouissifs Ă manipuler. Au niveau du scĂ©nario, l’histoire se basent sur trois factions qui renvoient aux diffĂ©rentes thĂ©ories du complot et son panel de sociĂ©tĂ©s secrètes. Des groupuscules mythiques dont nous entendons rĂ©gulièrement parler au dĂ©tour d’un fait mĂ©diatique ou d’une thĂ©orie tarabiscotĂ©e expliquant certains faits insolites. Je me rappelle rĂ©cemment d’un reportage sur la TNT, avec en mire la Statue de la LibertĂ©, dĂ©crite comme un symbole cyniquement inversĂ© qu’aurait placĂ© les fameux Illuminati dans la baie de New York;. Bien entendu, les journalistes dudit programme s’ingĂ©nieront Ă dĂ©montrer toute l’Ă©normitĂ© de cette thĂ©orie, en adoptant finalement le dogmatisme de ceux qui se contentent du fameux bon sens (cette fameuse alternative bourgeoise Ă la foi, pour reprendre le sens et le vocabulaire chers Ă Roland Barthes), pour anĂ©antir toute hypothèse paranoĂŻaque. Dommage, c’Ă©tait marrant.
« – Mais ma bonne dame, si des organisations secrètes dominaient le monde, ça ferait longtemps qu’on s’en serait rendu compte.
– Sauf s’ils font bien leur boulot, Monsieur. »
Quoi qu’il en soit, la thĂ©orie du complot reste une thĂ©orie, car il faut bien avouer que des deux cotĂ©s, les preuves ne rĂ©sistent jamais Ă l’Ă©preuve de la vĂ©rification Et pour cause, l’interprĂ©tation est la clĂ© de tous ces raisonnements, et il n’y a jamais rien de vraiment tangible pour vĂ©ritablement attester de la rĂ©alitĂ© d’une politique secrète dominant le monde. Si c’Ă©tait le cas, d’ailleurs, merci de corriger le tir, pour l’instant c’est pas grandiose comme rĂ©sultat.
Avec une petite recherche googlĂ©enne, vous trouverez pas mal de sources traitant la thĂ©matique des groupes cachĂ©s et mondialement actifs, sectes, loges, chambres, et autres petits mots de vocabulaire Ă©voquant les chuchotements et les cĂ©rĂ©monies secrètes. Personnellement j’ai bien aimĂ© le site « actualitedelhistoire.over-blog.com », qui traitent de certains sujets sensibles avec un propos libertaire et une volontĂ© d’argumentation que je trouve louables (l’analyse du phĂ©nomène sociĂ©tal et du dĂ©tournement de fonds publics que fut l’affaire de la grippe H1N1 me semble, par exemple, très judicieuse). La page consacrĂ©e aux Illuminati est très bien pourvue et vous permettra de vous familiariser si vous le souhaitez, Ă cette ambiance d’alcĂ´ve qui entoure ces thĂ©ories du complot et tous leurs groupuscules de manipulateurs de masse.
The Secret World considère donc ces faits comme bien rĂ©els, et oppose trois factions, qu’on pourrait dĂ©crire comme Ă©tant guidĂ©es par des motivations complètement diffĂ©rentes, la domination du monde devenant la condition imposĂ©e Ă l’accomplissement de leurs desseins. En osant la synthèse, nous dirons donc que :
– les Illuminati : reprĂ©sentent les sociĂ©tĂ©s secrètes opposĂ©es au pouvoir Ă©tatique, Ă la dĂ©mocratie, prĂ´nant un gouvernement par une Ă©lite disposant de tous les moyens intellectuels et financiers pour imposer son (ses) point(s) de vue. Leurs desseins ne sont nullement malĂ©fiques, simplement ils se situent dans une logique assez pessimiste concernant la possibilitĂ© de la sociĂ©tĂ© de s’appuyer solidement sur la dĂ©mocratie et les principes Ă©galitaires pour parvenir Ă une certaine forme de stabilitĂ© Ă©conomique et politique. Ils sont gĂ©nĂ©ralement opposĂ©s Ă toute religion, qui ne peut ĂŞtre qu’obscurantisme. Et ils aimes les triangles dans les logos.
– Les Templiers : la faction animĂ©e par des principes mĂ©taphysiques et spirituels, riche d’un hĂ©ritage judeo-chrĂ©tien prĂ´nant des valeurs de partage et de misĂ©ricorde. S’appuyant sur un hĂ©ritage culturel millĂ©naire, sur une imagerie et une iconographie inspirante, les Templiers sont les protecteurs du temple qu’est le monde. Ils sont profondĂ©ment opposĂ©s aux autres camps tout en ayant adoptĂ© un point de vue conciliant pour Ă©viter les affres d’une rivalitĂ© affichĂ©e. Et ils dĂ©tiennent la vĂ©ritĂ©, ce qui n’est pas rien dans ce monde de mensonges (Ă moins que…). Eux ils aiment les croix, limite du fĂ©tichisme.
– Les Dragons : le Yin et le Yang, soit une mentalitĂ© orientale beaucoup moins manichĂ©enne qu’en occident. Poursuivant des buts secrets, ils prĂ´nent notamment la thĂ©orie du chaos d’oĂą peut surgir le renouveau. Du moins si j’ai bien compris la scène introductive, car je n’en ai pas croisĂ© pour l’instant beaucoup dans le jeu. En gros, s’ils vous charcutent au dĂ©tour d’un champ de bataille multijoueurs, n’y voyez rien de personnel. Et je ne sais pas trop ce qu’ils aiment, utiliser le symbole du Tao fait un peu clichĂ© maintenant, le directeur artistique de Funcom n’aurait pas osĂ©.
Dès le dĂ©but, le jeu vous propose d’intĂ©grer l’un de ces trois groupes, et vous Ă©voluez immĂ©diatement dans une ville contemporaine oĂą vous dĂ©couvrez les dessous de l’histoire et on vous confie votre première zone d’affectation. Franchement, mĂŞme si on peut reprocher, Ă l’instar de World of Warcraft et de la majoritĂ© des Mmorpg actuels, un itinĂ©raire un poil trop scriptĂ©, la qualitĂ© de l’intrigue, de l’ambiance, et surtout des processus ludiques forcent le respect. Le jeu, Ă base de classiques quĂŞtes, instances, zones pvp, etc., s’appuient sur un univers au croisement de Fringe et de X Files pour l’ambiance. Il n’est pas d’ailleurs Ă mettre entre toutes les mains, tant le monde proposĂ© se rĂ©vèle sombre et dĂ©sespĂ©rĂ© (heureusement que votre avatar est lĂ pour mettre un peu d’ordre dans tout ça). Le gameplay est un peu particulier, et on est quand mĂŞme bien loin d’un jeu au petits oignons comme la grosse machine de Blizzard (bien qu’avec le temps, la jouabilitĂ© ait subi une optimisation la limitant… Ă quelques touches). Mais certaines phases du jeu, certaines Ă©nigmes, procurent des sensations ludiques et des tremblottes Ă©motionnelles bien trop rares ces derniers temps. Certaines quĂŞtes se permettent des petites mises en scène bien glauques, inspirĂ©es des classiques de films d’Ă©pouvante (la maison noire reste en cela une mission bien sympathique et bien stressante). Dans le registre de l’immersion, un navigateur internet est intĂ©grĂ© au jeu, afin d’explorer en temps rĂ©el (si cette expression possède une quelconque valeur dans un espace virtuel), les ressources Ă votre disposition pour trouver l’indice ou les informations nĂ©cessaires Ă l’accomplissement de vos buts. En pratique je me suis retrouvĂ©, par exemple, Ă rĂ©cemment rechercher l’alphabet en morse, pour dĂ©coder un message sonore trouvĂ© durant une quĂŞte, ou Ă farfouiller le site d’Amazon Ă la recherche d’un ISBN, lui-mĂŞme code secret conditionnant l’accès Ă un ordinateur possĂ©dant des ressources stratĂ©giques. L’addition de la richesse scĂ©naristique, de l’univers et de l’ambiance paranoĂŻaque mis en place, de la multiplicitĂ© des challenges ludiques, et de systèmes de jeu particulièrement originaux pour ce type de jeu (par exemple, pas de progression de niveau, mais l’accumulation de compĂ©tences dĂ©bloquant des archĂ©types) font de ce produit ludique l’un des meilleurs Mmorpg du moment.
Sortie sur le modèle d’un abonnement mensuel, les chiffres de vente bien plus bas qu’initialement envisagĂ©s, ont conduit Funcom Ă proposer le jeu en freeplay en fin 2012, soit Ă la date Ă laquelle j’ai pris la dĂ©cision d’acquĂ©rir le jeu. Bien que l’entreprise subisse Ă©conomiquement le contrecoup du relatif Ă©chec du jeu (avec un regroupement des effectifs et des licenciements Ă la clĂ©), le nouveau modèle Ă©conomique a boostĂ© de près de 400% le nombre de joueurs entre fin 2012 et maintenant, assurant au jeu un tardif succès et une certaine pĂ©rennitĂ©. Renforçant cette nouvelle vitalitĂ© et transformant totalement l’essai en rĂ©ussite, Funcom vient d’annoncer la sortie de l’Ă©pisode 6 dont le dĂ©ploiement est prĂ©vu le dimanche 15 mars. Les premiers abonnĂ©s, devenus depuis le changement du modèle Ă©conomiques des membres premiums, ont donc accès durant trois jours Ă partir d’aujourd’hui, Ă ce nouveau contenu, sous certaines rĂ©serves tarifaires si j’ai bien compris le mail de Funcom. Enfin, 10 euros pour trois jours d’attente, il y a un pas dans la geek attitude que je ne franchirai jamais.
Le trailer, commentĂ© par le Directeur du jeu, Joel Bylos, est visible sur Youtube, et prĂ©sente l’ambiance ensoleillĂ©e de cette extension, changeant des contrĂ©es morbides et des ruelles glauques auxquelles le jeu nous avait jusqu’Ă prĂ©sent habituĂ© (enfin j’avoue avoir Ă peine achevĂ© Kingsmouth… pas prĂŞt de l’Ă©trenner l’Ă©pisode 6…). Vous noterez que le thème musical emprunte d’ailleurs l’envolĂ©e du thème du hĂ©ros de Spielberg, une petite note en dessous (une note secrète, quoi !). Que dire Ă©galement de la nouvelle arme disponible, hommage direct Ă Indiana Jones : le fouet. Entre la parodie et le clin d’oeil, The Secret World est un jeu qui constamment utilise la culture de nos sociĂ©tĂ©s modernes et urbaines, pour en dĂ©voiler les plus effarantes facettes, tout en nous permettant de vivre des situations et des ambiances cultes (en faisant Kingsmouth, j’avais l’impression de relire mes vieux bouquins de Stephen King, dont le jeu contient d’ailleurs un ersatz aux initiales similaires, en la personne de Sam Krieg – espĂ©rons que King n’est pas aussi tarĂ© d’ailleurs).
A moins de 30 euros le jeu, The Secret World possède une richesse de contenu et un nombre d’heures de jeu potentielles qui rentabilise l’investissement. Si vous en avez marre de taper de l’orc ou de chevaucher du dragon, n’hĂ©sitez pas.
La vidĂ©o de l’Ă©pisode 6 de The Secret World sur Youtube.com :
Tous les détails de ce 6ème épisode de The Secret World sur le site de Funcom.
Le guide de The Secret World par Funcom : découvrez toute la richesse de The Secret World.