Le romantisme noir ou le marketing signifiant

Vu ce jour un excellent article de Daphné Tesson sur lepoint.fr, et malgré plein de boulots à faire pour notamment aménager ce blog comme il se doit, j’ai envie de réagir à chaud. Déjà, je ne connaissais pas l’expression « romantisme noir » ; par contre, le romantisme tout court, je m’en suis toujours complètement prévalu. Pas selon la définition commerciale réduisant l’expression au simple répertoire amoureux à la parallèle généralement consumériste (Saint Valentin, priez pour nous…), mais ce qu’on peut en trouver et déduire chez des artistes comme Victor Hugo ou Eugène Delacroix, que je continue de révérer malgré ma maturité éblouissante. Soit le désordre de la passion qui trouble, avec grâce et élégance, l’égale humeur de la raison, cette déesse des temps modernes qui agite sa baguette sur une pensée occidentale vieille de deux siècles, qui veut que la science joue un rôle quasi messianique dans l’avancée de nos sociétés (qui adulent l’innovation, seul et dernier moteur d’une humanité désabusée de tout, en quête d’un renouveau qui ne vient pas). Le romantisme, c’est le règne du sentiment, le triomphe de l’humain avant celui de l’homme, l’indistinct qui trompe et se moque de la pensée cartésienne pour se libérer du carcan des conventions et de la normalisation. Il précèdera les autres mouvements en inspirant des mouvements plus populaires comme l’impressionnisme, en retirant violemment le voile discret d’un conformisme cloisonnant toute velléité artistique dans un carcan de règles et de convention.

Alors, quid de notre invité surprise, « noir », ce vieil épithète renvoyant à la métaphysique voire religieuse lutte de la lumière contre les ténèbres ? Le « Romantisme noir », nous est-il expliqué, consiste à déplacer le romantisme dans une zone ténébreuse, voire démoniaque, odeur de soufre et de luxure en sus dans le package marketing qui nous est fourni notamment par les explications du Musée d’Orsay (que j’adore définitivement). Si j’applaudis à l’approche des organisateurs, et à l’enthousiasme de la journaliste, je reste tout du moins dubitatif. Certainement, l’idée est de vulgariser, sûrement de faire un peu de pédagogie, en réhabilitant en passant tout une frange de notre histoire pictural avec le mouvement du Symbolisme, qui ne connut jamais en France le même impact auprès des foules que les toiles bigarrées et légères de l’impressionnisme (« post- » y compris – ça fait longtemps que les spirales de Van Gogh n’angoissent plus). De là à argumenter et analyser la chose comme une quelconque réaction à un trop plein de lumières dans un XIXème siècle qui fut à sa manière assez ombragé en définitive, si on considère la météo séculaire, il y a un pas énorme que personnellement je me garderai de franchir.

En fait, le Romantisme noir est un beau canular, un pléonasme osé comme pourrait l’être l’Impressionnisme fleuri pour Monnet ou le Réalisme cru pour Courbet. Un peintre génial comme Delacroix a effectivement magnifié ces zones d’ombres de l’âme humaine (La mort de Sardanapale restant en cela un monument de nihilisme absolu, bien plus puissant que son Faust, dans le registre de la noirceur), mais c’est certainement Géricault qui foudroie avec son Radeau de la méduse, ovni sociologique dans un paysage scriptural qui met toujours plus en scène qu’il ne représente.

Delacroix - La Mort de Sardanapale (1827)

La mort de Sardanapale du grand Eugène Delacroix. Du sexe, de la mort, du tumulte, et un homme détaché de tout ce qui pourrait avoir de la valeur à ses yeux. La passion s’oppose à la raison : de quel coté est le crime ?

 

Victor Hugo fera également le tour des anges déchus, et la Fin de Satan par exemple demeure la démonstration de la démesure de la passion à un niveau céleste. J’arrête là les références faciles, il y en a trop, car alors quoi ? Le problème de colorer le terme « Romantisme » suppose qu’on lui oppose son opposé, un « Romantisme blanc », dont le propos serait mielleux, enfantin, sentimental… pur peut-être ? Les dégâts, dans notre société consumériste qui use du détournement culturel pour déguiser son discours commercial, font que le terme s’est usé sur des clichés langoureux, abusant de pétales de fleurs et de couchers de soleil dans les îles. Mais le Romantisme a toujours été noir, noir comme le sang qui sèche ou comme les ténèbres qui nous entourent parfois, au détour d’une mélancolie ou d’un désespoir. Effectivement, comme il est parfaitement expliqué dans cet article, le mouvement fut sûrement une réaction face à une philosophie sociale prégnante fixant la raison comme idéal et finalité. Il suscita d’ailleurs de grandes réactions d’opposition, comme pour la première d’Hernani, mais cela, somme toute, n’est que la simple résultante d’une lutte dans le champ culturel de l’époque, une basse histoire de domination comme l’a tant et si bien analysé Pierre Bourdieu. Mais il ne faudra pas attendre la fin du XIXème siècle pour ça, tous ces événements se dérouleront lors des cinquante premières années. A la vérité, ce qui aurait été pertinent, concerne l’influence du Romantisme sur tous les mouvements picturaux délaissant la subjectivité et la figuration pour explorer les tréfonds de l’âme et du psychisme, qui se précipiteront sur toutes les pistes possibles entre la fin du XIXème et les cinquantes premières années du XXème.

Il est intéressant de se demander pourquoi les organisateurs de l’exposition vont sur le terrain du bizarre et du fantastique, pourquoi ils souhaitent surfer sur les rives d’un imaginaire morbide que les digestions modernes, après avoir donné naissance aux Harry Potter et autres Twilighteries, ont définitivement désamorcé. Il y aurait presque un peu de suffisance à découvrir que nos aïeux du siècle passé se permettaient aussi de broyer du noir, au détour de quelques cauchemars savamment mis en scène. Aussi le goût du spectaculaire motive certainement à mettre en exergue les passages les plus marqués, mais ce choix fait également prendre le risque d’une vision déformée de la réalité, d’une redéfinition des faits qui se contente d’anecdotes pour établir ses vérités. De Hugo à Blake, il y a près d’un siècle, sachant que l’artiste anglais est né en 1757… Que des artistes finissent par s’inspirer de ses œuvres témoignent avant tout d’une volonté d’affranchissement, tout en obéissant à une certaine vision de la peinture. C’est certes parfois très beau, mais de là à dire que c’est une innovation, on frise l’escroquerie marketing.

Peut-être que dans un siècle, une exposition s’intitulera stratégiquement le « Romantisme marketisé ». On y verra des vieux mythes complètement vidés de leur substance horrifique pour nourrir quelques fantasmes de puissance et d’immortalité dont la jeunesse actuelle ne semble pouvoir se passer (la ronde Sorcières > Vampires des vingt dernières années en reste un exemple significatif, des œuvres d’Anne Rice à celles de Stéphanie Meyer, des sorcières de Charmed à Sublimes créatures…). La tentation sera encore grande de jouer avec les dates en réalisant une synthèse sensationnaliste. J’espère simplement que les spectateurs éventuels iront plus loin que la vulgate en cours, et découvriront les auteurs dans toute l’intensité de leurs impulsions créatives, fruit d’une époque de tumultes et de changement, en rebellion contre une normalisation étouffant la passion humaine dans l’enclos rassurant d’un optimisme scientifique, souvent déshumanisé, qui n’a jamais tenu réellement toutes ses promesses de bonheur pour le genre humain.

L’excellent article sur lepoint.fr.

Et si vous avez le temps, la Fin de Satan de Victor Hugo en version e-book (pdf).

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