Richard Matheson, un maître du fantastique s’est éteint

On sent le couperet tranchant du temps en se rendant subitement compte que nos références sont subitement incompréhensibles ou totalement inconnues pour nos interlocuteurs. Un excellent exemple en est sûrement la série mythique « The Twilight Zone », mieux connue chez nous par le titre « La quatrième dimension » (et son reboot des années 80 sera opportunément incrémenté chez nous d’une dimension lors de sa diffusion sur la défunte cinquième chaîne). Cette série évoque une époque transitoire, durant laquelle la foi en la science ne peut se détacher d’une certaine forme de fantastique voire de mysticisme. Paradoxe temporel, intervention extraterrestre, force du destin, ironie du sort, sont autant d’événements et de phénomènes qui font basculer soudainement le récit, généralement à la fin de l’histoire. Cet exercice du twist, comme s’y adonneront par la suite de nombreux cinéastes faisant reposer toute une intrigue sur ce type de levier narratif, a permis à de nombreux scénaristes de se faire un nom au panthéon des créatifs hollywoodiens, et Richard Matheson s’est révélé un auteur à la fois particulièrement inspiré, et surtout incroyablement inspirant.

Je me rends compte de la réduction involontaire induite par mon introduction. Richard Matheson est simplement davantage un écrivain, un nouvelliste précieux, qu’un simple scénariste, mais son passif glorieux notamment à la télévision ou au cinéma pourra limiter certains observateurs à le cantonner à ce type de prestation. Je ne commencerai pas à hiérarchiser les missions d’écritures sur une quelconque échelle artistique, même si une partie de la carrière de Richard Matheson semble avoir répondu aux besoins de l’industrie télévisuelle américaine. Mais au-delà de ces considérations qui n’ôtent rien à la qualité de son œuvre, Richard Matheson avait à la fois l’inspiration, qu’on pourrait résumer par la bonne idée ou le bon concept, et le sens de la formalisation (notamment dans la structuration de ses intrigues). « Je suis une légende », « L’homme qui rétrécit », « La Maison des damnés », « Le jeune homme, la Mort, et le Temps », « Au-delà de nos rêves », autant d’œuvres qui ont fait une belle carrière et marqué des générations de cinéphiles, par leurs thématiques mais également par leur traitement dramatique.

Pour ma part, je révère Richard Matheson presque par hasard, un copain de classe m’ayant prêté, il y a près de 27 ans, un livre de poche (édité par « Le livre de Poche ») intitulé « Les mondes macabres », que j’ai depuis toujours gardé précieusement, et relu un nombre incalculable de fois. Ce recueil de nouvelles demeure, même après toutes ces années, une véritable boîte de Pandore du twist, une source de plaisirs coupables. J’ai découvert un auteur au style direct et précis, une écriture au scalpel, à la fois efficace et sobre, marqué par la précision et la finesse psychologique.

Cette manière d’écrire, de traiter de thématiques à la fois modernes et populaires avec un style réussissant à unir la simplicité sémantique et l’émotion la plus poignante, je la retrouverai plus tard avec un auteur comme Stephen King, qui saura également plonger avec la même maestria dans l’urbain et l’humain pour dépeindre des univers et des personnages contemporains confrontés à l’incursion de l’insolite ou du cauchemar dans notre bonne vieille réalité. Il y a certainement à dire sur l’influence des nouveaux médiums du XXème siècle sur la culture populaire et toute une nouvelle génération de créateurs et d’artistes, et dans l’arbre généalogique du fantastique, Richard Matheson occupe discrètement mais fermement une branche stratégique.

Le défaut paradoxal de Richard Matheson sera certainement le frein qu’il mettra à la fin des années 70 à son œuvre. Très prolifique, le fameux « Duel » de Steven Spielberg lui apportera une reconnaissance mondiale et marquera une étape de sa carrière en étant son dernier fait d’arme littéraire notable. Adaptées à de nombreuses reprises par la suite, ses œuvres seront populaires sans jamais influencer ou stimuler sa production, à l’inverse d’un King qui envahira très régulièrement les bacs, les cinémas et les programmes tv de ses œuvres, souvent inégales.

Il restera également comme l’auteur d’une des plus belles histoires d’amour (fantastiques) qu’il m’ait été donné de lire, « Le jeune homme, la Mort et le Temps » ; un postulat audacieux (remonter le temps par sa propre volonté), servant de tuteur à une romance magnifique… tout en préfigurant la prégnance et la force des univers alternatifs que les nouveaux médias proposeront des années plus tard.

Bon voyage Richard Matheson, tes histoires merveilleuses continueront à faire rêver et inspirer les hommes dont tu as si bien traduit l’humanité, les failles et les doutes.

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