Wolverine : le combat de l’immortel ennui

Bon, j’avoue, mon titre est un poil nĂ©gatif, mais j’ai l’impression ces derniers temps de ne faire que des articles sur des films adaptĂ©s de comics… Vu qu’il a Ă©tĂ© annoncĂ© Ă  peu prĂšs partout que nous allons ĂȘtre inondĂ©s de longs mĂ©trages de ce genre autrefois marginal, il y a d’une part un insidieux son de machine Ă  jackpot qui me tilte aux oreilles, et d’autre part une forme de dĂ©senchantement en voyant les icĂŽnes papiers perdre leur Ăąme sur l’autel du grand public.

Wolverine, c’est une vieille passion, qui remonte Ă  mes cinq/six ans. À l’Ă©poque, solitaire pour cause d’un problĂšme d’agenda procrĂ©atif entre mes parents et le reste de la famille, je me rĂ©fugiais, lors des rĂ©guliĂšres et longues rĂ©unions familiales oĂč j’Ă©tais le seul enfant, dans les comics de mon grand cousin. D’ailleurs, je n’utilisais pas ce terme gĂ©nĂ©raliste, et je dĂ©signais les titres des revues qui publiaient les aventures de nos amis en collants, comme autant de sĂ©sames magiques m’ouvrant les portes de l’Ă©vasion et du rĂȘves : Strange, Titans, Nova, Spidey, et SpĂ©cial Strange. C’est dans ce dernier fascicule, trimestriel, que je dĂ©couvrais ma BD favorite de l’Ă©poque, soit les Nouveaux X-men de Chris Claremont et John Byrne.

Des annĂ©es plus tard, le succĂšs de l’Ă©quipe de mutants fera les gros titres des journaux, prĂ©figurant l’adaptation cinĂ©matographique qui lancera la mode actuelle… Mais en 1980, date Ă  laquelle je commençais Ă  dĂ©coder les caractĂšres Ă©nigmatiques enserrĂ©s dans leurs bulles, il y avait parmi les mutants un sale petit nabot, agressif et bestial, que les traducteurs avaient Ă  l’Ă©poque affublĂ© du charmant nom de Serval. En ayant vu un (de Serval) la semaine derniĂšre au magnifique Zoo de Beauval (Loir-et-Cher), je comprends le rapprochement et salue la finesse d’esprit des responsables de l’Ă©poque. Avaient-ils d’ailleurs le choix Ă  l’Ă©poque ? Sachant que les français, encore de nos jours, sont rĂ©putĂ©s pour leurs difficultĂ©s avec les langues Ă©trangĂšres, qu’il y a avait une franche ambiance de rĂ©sistance (Ă  la AstĂ©rix) face Ă  l’impĂ©rialisme culturel amĂ©ricain (avec la globalisation, on en rigole maintenant), et surtout que pour la traduction directe, « Glouton » est un nom qui prĂȘte plus Ă  rire qu’Ă  autre chose.

Je l’aimais bien Serval, parce que contrairement aux autres hĂ©ros, il assumait une franche et dĂ©clarĂ©e tendance Ă  la violence la plus extrĂȘme. Politiquement incorrect, Logan (Aka Wolverine/Serval donc) fumait le cigare, buvait de la biĂšre, et surtout avait du poil sur tout le corps (cassant l’image d’Ă©phĂšbe matinĂ©e de surhomme qu’on nous vendait en permanence : pour porter des collants, vaut mieux Ă©viter les poignĂ©es d’amour, il est vrai). Il tuait parfois ses ennemis, et ne se posait pas de longues questions existentielles avant de planter ses griffes en adamantium dans le bide d’un adversaire. Avec le temps, le cotĂ© animal, sauvage, indisciplinĂ©, rebelle, faisait du personnage une vĂ©ritable personnalitĂ©, dĂ©tonante, parmi ses vertueux confrĂšres. Avec encore plus de temps, et de popularitĂ©, le personnage va gagner ses jalons du cotĂ© obscurs de la force, et il y aura quelques petits bijoux comme le « Je suis Wolverine » du duo Miller/Claremont ou encore « Wolverine : ennemi d’Ă©tat » de Millar/Romita Jr, qui vont amplifier ses bas instincts pour justement stigmatiser son humanitĂ©, et dĂ©voiler un nihilisme prĂ©gnant rĂ©vĂ©lant un paradoxal hĂ©ros mĂ©lancolique.

Le film de James Mangold, qui empruntait sans le cacher au comics « je suis Wolverine », a Ă©tĂ© vendu comme une sincĂšre volontĂ© de montrer tous les mauvais aspects de ce personnage ambigu. Ce qui, aprĂšs visionnage, est une pure escroquerie. Il y avait par exemple, dans le comics original, le plus profond complexe du hĂ©ros, qui est de se dĂ©crire comme un animal, Ă  l’instar d’un Dexter (la sĂ©rie Tv) qui passe son temps Ă  se dĂ©finir comme un monstre. De ce dĂ©nigrement, rĂ©vĂ©lateur de la quĂȘte personnelle et existentielle d’un homme qui a souvent failli, il ne reste plus rien. À part quelques flashbacks le faisant passer pour un romantique en faillite, de ces tourments intĂ©rieurs il ne reste plus grand chose. Et franchement, Mangold semble avoir un peu trop regardĂ© le formidable « Le territoire des loups »  (The Grey) de Joe Carnahan, certains plans de « Wolverine : le combat de l’immortel » Ă©tant de simple copiĂ©s/collĂ©s du film avec Liam Neeson. À y penser, les deux mĂ©trages sont d’ailleurs d’excellents exemples d’une thĂ©matique bien et mal traitĂ©e. Wolverine, dans le film de Mangold, a le dĂ©sespoir mou, un spleen narcissique donnant un bon prĂ©texte Ă  la gueule de bois.

Wolverine sur grand Ă©cran, et depuis le premier X-man, est un superhĂ©ros bougon, irascible, sanguin, mais qui fronce plus les sourcils qu’il ne taillade avec ses griffes. Il aime une femme qui n’est pas libre, il dit des gros mots, il finit quand mĂȘme par tuer deux trois mĂ©chants, mais dans l’ensemble, il ne choque pas et ne dĂ©range jamais. Dr plus, comme le dernier Iron Man, l’acteur finit par phagocyter le personnage, portant quelques postiches histoires de prĂ©tendre Ă  l’incarnation, tout en laissant son ego prendre le contrĂŽle. Nous ne sommes pas, avec Hugh Jackman, au niveau de cabotinage de Robert Downey Jr, mais quand mĂȘme, au bout du 6Ăšme mĂ©trage mettant en scĂšne le mutant canadien, on est limite dans la caricature. Et il est minuscule Wolverine, c’est pas un grand gaillard d’1m90… Autant faire Blanche Neige blonde ou Tintin en 3D tant qu’Ă  faire. Ah, on me dit que le reporter belge a eu droit Ă  son travestissement numĂ©rique – au temps pour moi, j’ai tendance Ă  vouloir oublier les mauvais souvenirs.

Alors, je ne ferai pas un article critique du film de Mangold, car si le rĂ©sultat est honnĂȘte, tout est finalement assez convenu, et un rĂ©el sentiment d’ennui commence Ă  m’envahir en constatant l’opĂ©ration de polissage qui est maintenant entreprise Ă  chaque adaptation. Les mĂ©chants sont caricaturaux, les hĂ©ros politiquement et moralement corrects et irrĂ©prochables, et les histoires rondement menĂ©es. Kickass 2 s’annonce Ă  son tour, et j’ai peur, pour le coup, d’une logique inverse, tant le comics initial est d’une violence particuliĂšrement choquante.

En espĂ©rant un juste milieu, avec moins de contrastes francs entre les parties en prĂ©sence, Ă  l’instar du film « X-men : le commencement », qui avait le mĂ©rite de rĂ©habiliter MagnĂ©to en rendant enfin grĂące Ă  sa complexitĂ© et ses atermoiements. La fin de Wolverine, la scĂšne cachĂ©e (si j’ose dire), qui se situe aprĂšs le premier gĂ©nĂ©rique de fin (les trois quarts des spectateurs l’ont d’ailleurs ratĂ©…) fait augure de belle promesse… AprĂšs trois opus mous du genoux et trop Ă©dulcorĂ©s (« X-men 3 », « Wolverine », » Wolverine : le combat de l’immortel »), il est enfin temps que la franchise retrouve un peu d’originalitĂ© et de mordant. Les gens qui volent et qui crachent du feu par les trous de nez n’impressionnent plus personne en 2013.

La bande annonce du film :

Et hors actu, mais ce film a eu le mĂ©rite de me rappeler ce chef d’Ɠuvre, la bo du « Territoire des loups », Ă  dĂ©couvrir d’urgence pour les retardataires.

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