Iron Man 3 : distorsion temporelle

dessin humoristique d'arcticdreamer.fr sur le film IronMan 3
note : réédition du volume 1 de la compilation des aventures de l’homme de fer, chez panini comics ce mois-ci, avec les tous premiers épisodes.

Hier, petite virée familiale pour aller voir Iron Man 3 de Shane Black, avec le toujours sémillant Robert Downey Junior. Constat toujours positif, en exceptant bien sûr ma petite culture du comic original, qui m’a habitué à une toute autre version de Tony Stark. Il y a eu, de film en film, de plus en plus prononcé, un glissement du personnage de Stark vers l’acteur qui tient le rôle, comme si on assistait à une forme de cannibalisme symbolique, le vivant consumant l’inanimé. À l’arrivée, la prestation de R. Downey Jr est complètement jubilatoire, avec une incarnation du bobo quadra complètement névrosé et dépassé par les événements. La volonté est à l’évidence à l’iconoclastie avec la destruction systématique de toutes les postures héroïques tentées tout au long du métrage. Le syndrôme de l’anti-héros à la spiderman a ainsi contaminé le cousin Iron Man… Le spectacle devient ainsi « familial » et le  principal protagoniste gagne en sympathie, mais je regrette, bien égoïstement, que le troisième opus du vengeur doré soit à l’arrivée une suite de trahisons et de reniements scénaristiques… Le rachat de Marvel par Disney se fait implacablement sentir dans le spectacle grand public qu’il m’a été donné de voir, même s’il se permet une sorte de bluff et d’insolence qui cède, très rapidement, à un traitement plutôt inoffensif de certaines thématiques contemporaines (terrorisme, corruption politique, manipulations médiatiques, etc.). Film en forme de reflet de son époque, Iron man 3 semble parfois une version Hi-tech du film héroïque, avec en héroïne discrète et omniprésente, la technologie mobile. Évitant l’opposition pourtant classique entre l’homme et la machine (cf le film Oblivion dont vous pourrez relire l’article récent en cliquant ici), l’armure est dans ce film réduite au simple rôle de gadget, plus ou moins fonctionnel. À l’instar de l’usager lambda, Tony Stark affronte tout au long du film des problèmes de réseaux, de configuration, de réglages, et finit d’ailleurs par se retrouver désemparé tandis que son pire ennemi le menace tandis qu’il est dépouillé, littéralement, de tous ses gadgets. Catalogue des modes technologiques actuelles, les drones en tête, Iron Man est en fait quasiment absent la grande majorité du métrage, n’apparaissant jamais dans sa pleine intégrité, ne jouant finalement pas son rôle messianique, et multipliant les gaffes plus ou moins graves. L’icône super-héroïque et les références à la chevalerie en prennent donc un sacré coup, réduites à des constats désabusés et cyniques des petits ratages de la technologie moderne, qui nous promet toujours le paradis entre trois bugs logiciels ou quatre déconnexions faute de réseau.

J’ai donc pris plaisir à voir le film, tout en constatant que l’intrigue, la ligne scénaristique, l’âme du comics, ne faisait pas partie du voyage. Je le répète, je suis bon public et je ne boude pas mon plaisir devant un spectacle de qualité, mais tandis que la popularité du personnage de Stan Lee explose au box office, je regrette qu’une certaine partie de l’univers du comics soit à la fois inexploitée, et par conséquence, mésestimée. Quid du plus gros défaut de Tony Stark, c’est-à-dire son alcoolisme, sujet pourtant effleuré dans Avengers où on le voit la grande majorité du temps (quand il est en civil) avec un verre à la main ? Quid du Mandarin, véritable némésis sur la papier, armé de ses anneaux surpuissants, dont un autre adversaire travestit finalement l’identité ? Quid de son incapacité à se fixer avec une femme, golden boy éternel et hyperactif, incapable en réalité à mener une quelconque vie sociale ? Quid de son implication politique avec notamment son rôle crucial lors de la fameuse « Civil War », qui s’achèvera avec la mort (momentanée) de Captain America ? Quid de son action éminemment libérale qui fait de lui un parangon du grand capitalisme ?

À l’arrivée, l’anti-héros devient en fait une version policée du véritable Tony Stark, certes névrosé, mais très proche du quadra lambda contemporain et idéal : fidèle, geek, immature tout en étant génial, et surtout imparfait sans souffrir de l’être. À l’image de Robert Downey Jr qui a connu de sérieuses frasques avec la drogue, pour finalement se libérer de ses démons et renouer avec le succès, Tony Stark a tout simplement vieilli, et c’est peut-être cela qui choque le plus dans ces adaptions cinématographiques, qui voient, au rythmes des sorties cinémas, les acteurs prendre de la bouteille. Ce qui n’est pas le cas dans le comics original, dont les débuts datent maintenant de… 1963 ! Soit pile poil 50 ans, que l’icône de papier ne fait pas, ayant seulement pris quelques années depuis sa naissance. Il y a donc un véritable phénomène de distorsion temporelle quand on y pense, car les films doivent digérer et intégrer des éléments d’intrigues diverses et variées s’échelonnant sur les cinquante années passées depuis la naissance de l’homme de fer.

Le vieillissement dans le monde super héroïque a toujours été une thématique à part entière, le choix initial étant de fixer les héros dans une sorte de continuité ne tenant pas compte du passage du temps. Spiderman, par exemple, s’est vu récemment, par la magie, projeté dans un passé correspondant à un certain âge d’or, en retrouvant certaines figures disparues (comme, par exemple, son meilleur ami Harry Osborn, décédé depuis de nombreuses années). Les héros ne vieillissent donc pas vraiment, mais ils murissent et ils changent, sans que les rides ou les rhumatismes gênent leurs postures super héroïques. Quand on aborde réellement la question, c’est généralement pour céder à des histoires sur fond d’apocalypse ou d’anarchie (The Dark Knight de Frank Miller étant le pionnier en la matière, et plus récemment, Old Man Logan de Millar et Steve Mc Niven) en sont de parfaits exemples). Il n’y a pourtant que cinq ans d’écoulés entre le premier film et le troisième (2008 et 2013), mais ce petit laps de temps suffit à voir l’acteur suffisamment prendre du grade pour que soit bousculées certaines conventions du héros de papier, toujours fringant du haut de son immortelle jeunesse.

Shane Black, cinéaste/scénariste iconoclaste et gouailleur

Il y a aussi la patte du réalisateur, Shane Black, scénariste phare des années 80-90, qui a amené la grande vogue des punchlines avec des dialogues plein de verve, et qui a d’ailleurs dirigé Robert Downey Jr dans son unique et précédent film, Kiss Kiss Bang Bang, déjà une vision iconoclaste du thriller sous des allures de comédie déjantée. À l’évidence, Iron Man 3 a subi le même traitement en trompe-l’œil, le réalisateur se jouant des clichés pour finir même sur le hold up de l’acte héroïque final, au bénéfice d’un personnage secondaire. En voyant le film, je n’ai pu m’empêcher de penser au Fantomas, d’André Hunebelle avec Jean Marais et Louis de Funès, où on assiste, l’air de rien, à un détournement du thriller vers la comédie, par la grâce et l’inspiration du talent comique de l’interprète du commissaire Paul Juve, qui s’approprie le métrage en faisant oublier l’aspect sulfureux et sanglant du criminel en titre. Même phénomène avec Robert Downey Jr, qui est omniprésent à l’écran, et qui déambule de scènes en scènes avec bonhomie, la punchline acérée et toujours ironique. Comme pour Fantomas, l’icône principale passe en second plan, et c’est bien l’aspect comique qui finalement ressort à la fin du film, avec un travail d’iconoclastie qui abuse sans complexe de twists et du deus machina le plus invraisemblable (voir la scène dans laquelle Tony Stark pénètre dans le QG ennemi, et défait des gardes du corps professionnels… sans son armure). Question invraisemblances, je n’évoquerai pas les chutes de quelques centaines de mètres, qui abiment l’armure mais épargnent l’homme qui la revêt, ou l’armure d’Iron Patriot, tantôt cheval de Troie, tantôt armure de combat…

L’ombre de Warren Ellis

Et si le film m’a bien amusé, j’ai donc été quand même relativement déçu par rapport aux emprunts d’intrigues phares, qui possédaient un potentiel dramatique et thématique enthousiasmants, et dont certains éléments ont été annoncés au début du métrage, pour être simplement abandonnés ou inexploités. Tel le virus Extremis, concept inventé par Warren Ellis dans l’histoire du même nom, aventure d’Iron Man particulièrement forte et réussie. Je ne peux que conseiller la lecture de cet ouvrage à ceux qui veulent découvrir le réel univers des comics, mais en les prévenant de la différence de tonalité entre le film et l’univers dessiné. Alors que dans Iron Man 3 le concept est juste utilisé à produire des méchants, il sert, comme toujours chez Warren Ellis, à une réflexion sur la réalité politique de notre monde, des forces en action, et de la position des acteurs au sein de la scène que représente notre bonne vieille terre globalisée. Dans « Extremis », il est rappelé que Tony Stark est un vendeur d’armes, qu’il a une position ambiguë moralement, héros capitaliste soumis au doute ; mais son héroïsme est avéré lorsqu’il décide de s’injecter le virus afin de palier aux limites de son inventivité et pour guérir des blessures que son adversaire vient de lui infliger ; un adversaire qui n’est pas un ambitieux mégalomane, mais un anarchiste déséquilibré, qui a été créé, indirectement, par l’autorité officielle ; pour finir, le virus permet à Tony Stark de réaliser une véritable symbiose entre l’homme et la machine, thématique complètement annihilée dans le film pour tenir le propos inverse, en ramenant l’outil à la simple fonction d’usage.

La star invisible de la trilogie Iron Man est ainsi le scénariste anglais, dont je vous invite à découvrir les œuvres phares que sont Planetary, The Authority, Transmetropolitan, ou des œuvres moins connues comme The Frankenstein’s Womb ! Personnellement, et depuis de nombreuses années, je savoure les productions de Warren Ellis qui lui aussi sait jouer avec des icônes, mais en apportant une réelle plus-value au principe de réécriture. En l’état, le film Iron Man 3 opère à mon sens l’opération inverse, en retirant du sens et du capital à l’icône qu’il met en scène.

Pour lire la vf du chapitre « Extremis », vous pourrez peut-être le trouver d’occasion sur Amazon, Panini Comics ayant réédité l’histoire en 2011 dans la collection « Les grandes Sagas » volume 3. Si vous êtes anglophones, vous pouvez trouver sur Amazon la version originale qui a été rééditée outre-atlantique, pour la modique somme d’environ 12 euros.

Le site de Warren Ellis, un autre blog WordPress 🙂 : http://www.warrenellis.com/

Le site officiel du film : fr.marvel.com/ironman3/

Le trailer, en anglais, car je n’ai pas trouvé de sources officielles en français :

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