AbracadabrIA

Voilà… Vous êtes plein d’une bonne volonté combative et positive, et paf, alors que vous vous êtes mis à bosser au petit matin, vous entendez encore un propos admiratif, bourré de superlatifs, pour nous annoncer, encore, la menace des IA concernant l’avenir de l’Homme. Non, je déconne. Concernant l’employabilité de l’homme (avec un petit h qui inclue la Femme) ou plutôt son utilité dans un monde où il y a des droits mais aussi et surtout des devoirs. Le devoir d’obéir et de rapporter de la thune car faut pas déconner, tous ces droits ça coûte cher, comme si vous étiez nés pour vous tourner les pouces sur le dos de la glorieuse collectivité et ses héros producteurs et anonymes.

J’y ai cru au(x) IA(s). Je sais, j’aurais toujours ce coté un peu naïf, cette volonté de croire à fond au tour de magie sans me dire qu’il y a un truc, mais plutôt que j’assiste peut-être à un phénomène échappant à la platitude des injonctions de la physique élémentaire (après, à mes yeux, la physique élémentaire c’est de la magie ordinaire, mais je ne m’égarerai pas aujourd’hui à ce sujet – j’ai du boulot !). Donc, au début, j’y ai cru. En bref, et pour faire clair, pour ne pas faire comme tous les observateurs qui cèdent ainsi aux injonctions de croire sans vouloir comprendre, j’ai cru que des génies du développement informatique avaient réussi à coder la créativité, l’inventivité, que des schémas d’élaboration intellectuelle et/ou artistique avaient été algorithmés, à coups de grandes équations complexes échappant enfin à la tyrannie du fonctionnement binaire.

Il faut dire que me concernant, ça faisait rêver. J’ai littéralement des dizaines de concepts, d’idées, de scénarios qui attendent et que je ne pourrais sans nul doute jamais concrétiser parce que je suis d’une part individualiste et d’autre part car je suis réaliste. Mais les IA, durant un temps, furent une promesse qui engendra des petites étoiles dans mes yeux gris fatigués, qui créa en moi ces papillons dans le ventre qui font la joie des récits érotiques quand Madame dévoile ses pulsions matinales avec la subtile légèreté de la métaphore coprophile. Alors je m’y suis mis, j’ai prompté, j’ai testé, j’ai essayé, j’ai benchmarké pour reprendre des termes qui maintenant me font sourire plus qu’ils ne m’inspirent. Et au fil du temps, ce sont surtout les limites, les contraintes, allez, osons le mot terrible, les frustrations, qui se sont imposés à moi, balayant les papillons comme le fait consciencieusement mon chat noir adoré (infatigable machine à gober).

Une fois encore, dans ce monde de mensonges et d’escroqueries, où tacitement les acteurs majeurs d’un système s’entendent imposer un narratif en lieu et place de la réalité, tout ça n’est qu’un tour de magie, la fraîcheur de la crédulité essorée. Pillage de droits intellectuels, pillage d’œuvres, processus de confection qui tiennent davantage du bricolage méthodique que de la confection héroïque, les IA ne sont qu’un trompe-l’œil de plus dans ce panorama de grugeurs et de petits profiteurs. Oui, si vous n’avez aucune culture générale, si vous souhaitez juste aligner des mots pour aligner des mots sans chercher, à mon exemple, à jouer un peu avec les possibilités de la sémantique et surtout l’ingéniosité à créer quelque chose qui dépasse l’énonciation basique d’une idée, alors oui, oui, oui, les IA c’est génial. Enfin, ça ne reste que de la mise bout à bout de mots répondant à une thématique, mais l’amoncellement de caractères, des petites fulgurances piochées de ci de là, peuvent vous ébaudir et vous troubler durablement. J’avais accompli un test avec ChatGPT (ce que mon esprit retors me force à lire comme LHOOQ) qui avait été accablant. Des conneries, des lieux communs, des absurdités, en bref un niveau d’information, une qualité d’information totalement nulle. Oui, la syntaxe était là, j’avais les yeux moins abîmés qu’à l’accoutumée en lisant de la prose de réseau social, mais dans le fond c’était faux et surtout délirant. Déjà, j’ai senti la roublardise de l’outil, qui n’hésite pas à déclarer avec conviction la plus énorme des conneries. Je me suis dit, alors, victime de ma propre propension à imaginer le meilleur, que ce cerveau mécanique allait grandir et mûrir, oubliant que tout ça ne reste qu’une lutte entre le O et le 1, condamnant cette fameuse intelligence à ne jamais pouvoir sortir de l’ornière fatale de la binarité crasse (ou manichéisme). Qu’elle pouvait apprendre. De cet instinct paternel qui me colle au karma durablement.

Ensuite, je me suis attelé aux IA de création artistique… encore une fois, avec les meilleures intentions. Je me suis dit que pour mes projets, avoir un petit assistant me ferait du bien, mais j’ai encore bien déchanté. Résultats hasardeux, maîtrise nulle du processus, et surtout l’obligation de devenir rapido un ingénieur du prompt (dire que certains imbéciles se sont gaussé un jour de ma volonté à devenir directeur artistique tandis que tout ce que je créais était bassement rémunéré et totalement récupéré par l’entreprise qui se faisait un pognon de fou sur mon dos). Il faut le dire : il y a encore, dans le domaine de l’informatique, cette fascination un peu débile en considérant la plomberie digitale pour autre chose que ce qu’elle est. Après, quand on voit constamment les mêmes commentaires subjugués clamant que l’IA est là et pouf, plus besoin d’humains, pourquoi se gêner ?

Après deux ans d’observation, après deux ans à tester, je le dis : les IA sont du bluff, de la grosse machine à stocker et traiter de la donnée. Un savant dosage entre une masse de patern et une masse de lego. L’individu sans créativité, le pur consommateur, y trouvera son compte, car sans fatigue, sans effort, sans réflexion, sans l’étincelle qui fait que vous n’êtes pas qu’une bouche physique et mentale qui ingère sans cesse, il pourra crânement se dire qu’il faut aussi bien que l’individu qui aura sué (mais quel crétin) pour produire ce que quelques mots savamment ordonnés auront réalisé. Les IA, en cela, sont encore une fois la démonstration patente d’une dégénérescence à la fois morale et intellectuelle, pour ne pas dire existentielle. Car ces IA ne sont, à l’arrivée, qu’un mécanisme d’exploitation supplémentaire.

Un processus de protection des droits à la propriété intellectuelle va se renforcer. Et il sera salutaire pour beaucoup de redescendre sur terre. Il faut arrêter d’utiliser le terme « intelligence » lorsque le processus moteur est celui d’un assemblage vulgaire. Il n’y a pas une once de réflexion, pas une once d’autonomie, de création, dans le processus. Juste une base de données avec la colonne « œil » et une zone d’assemblage avec une délimitation précise où placer la fameuse donnée, de part d’autre de la zone « nez ». Après, du croisement dynamique, du filtre, un petit script pour les transitions, une variable pour l’homogénéité. Ok, c’est quand même du boulot, à concevoir, à coder, à rendre viable. Mais ce n’est pas de l’intelligence. C’est encore une fois de la plomberie, ni plus ni moins. Et un tuyau c’est beau, mais ça reste qu’un putain de tuyau, et une plomberie une putain de plomberie. Il vous est tout de même permis de vous éberluez devant la beauté sobre et pur d’un bidet finement stylisé, ce n’est pas à moi de tyranniser vos goûts.

Allez, je retourne à mon boulot… et dire que durant un temps j’ai eu l’illusion de croire que ces outils pouvaient me faire gagner du temps. Là, dans le processus de création artistique, ces IA pourraient s’avérer utiles… non pas en pillant les artistes mais bien en les aidant à créer, en facilitant tous les processus souvent astreignants qui demandent du temps. Mais il y a tellement moins de pognons à se faire, que je n’imagine même pas que ce petit miracle ait lieu. Attention, je ne dis pas que ces outils ne sont pas utiles. Je dis juste qu’il faut faire la part des choses. Comme l’a si bien dit le Christ, rendre à César ce qui appartient à César… et s’il faut commencer à rémunérer les artistes qui abondent les bases de données actuelles, c’est clair que l’opération sera d’un coup beaucoup moins rentable et donc immédiatement sabordée.

Sick of themselves

Un titre un peu malicieux mais j’évoque en filigrane mon état maladif du jour, renvoyant vers le malaise, sensible, dans notre bonne vieille société française. J’aurais passé un été particulièrement intense, avec une hyperactivité encore davantage accrue par une santé qui ce jour, exceptionnellement, me fait donc défaut. Impotent, affalé sur mon canapé, les poumons irrités par je ne sais quel mal qui m’aura chopé au détour d’une inspiration fatale, je me suis donc dit que l’occasion était belle d’écrire pour écrire.

La période reste fascinante bien que profondément tragique. Je ne sais même pas par quoi commencer le diagnostic du jour. Un président en roue libre, à la roublardise flirtant avec le trouble psychiatrique, une économie en état de mort cérébrale dont le corps peu à peu pourrit par la tête, tout donne l’impression d’être embarqué sur un version moderne du Titanic, avec une belle vision de l’iceberg se profilant à l’horizon.

Quitte à faire un peu de philosophie de boudoir (je ne vais jamais au bar, je ne peux donc m’acquitter de celle de comptoir), tout donne l’impression que l’immense fiction qui nous sert de réalité est en train de se déliter doucement, mais sûrement. Cet été aura donc été une sorte de rêve éveillé, une euphorie malsaine, avec des états orgasmiques commentés autour du sport, avec des moments colériques en voyant des idéologies d’une prétendue modernité s’imposer au petit et toujours fasciste peuple qui ne veut pas s’embarquer pour un monde de demain qui ressemble cyniquement aux tristes décadences antiques. Personnellement, j’aurais énormément travaillé et du coup je dois avouer que j’ai assisté à tout ça avec une nonchalance presque surprenante vu ma continuelle propension à l’indignation. Je pense surtout que j’ai enfin admis que je ne pouvais pas influer sur tout ça, je me suis résigné à regarder les êtres autour de moi se prendre des murs, trop occupé à encaisser les miens.

Souvent, je plaisante avec mes enfants sur cette idée que depuis ma naissance j’essaie de survivre au milieu des zombies. Tout me semble lent, tout m’a toujours semblé lent, et pour défouler cette immense énergie qui est ma nature, j’aurais passé l’essentiel de mon existence à m’agiter, à agir, à bosser, à créer, à détruire et reconstruire, sans m’arrêter, sans me dire un jour que tout ça finalement ne servait à rien. Mais cet été j’ai appris à ralentir, à me poser, à attendre, à rester dans le silence ou le noir. Non, je ne me contredis pas, j’ai bien passé un été à bosser comme un dingue. Mais sans m’épuiser, sans chercher le harassement pour trouver le repos dans l’étourdissement de la fatigue. J’ai mesuré l’effort, j’ai veillé à ne pas trop m’en demander, j’ai géré l’énergie pour ne pas la subir comme une oppression mais en cherchant à la canaliser. Du coup, alors que je suis dans une sorte d’élan constructif et positif, tout ce qui se passe à l’extérieur me semble comme une entropie sur laquelle je sais n’avoir aucune prise. Me reste le commentaire, l’honnêteté de reconnaître ma totale impuissance et la solitude de ma posture.

Comment s’intéresser à la politique quand l’offre actuelle est d’une nullité navrante ? Entre une gauche championne de la vertu autosatisfaite et la droite défenderesse d’un ordre qui se rêve idéal, il n’y a rien que de la posture, de l’imposture et de la forfaiture. Petite pensée pour Aubry et son accolade avec Ursula. Petite pensée pour les souverainistes qui se renvoient la balle dans une sorte de partie de ping-pong puéril qui ne crée rien qu’une chimère de plus dont il ne sortira qu’un murmure là où il faudrait un cri puissant. Que dire de Macron ? Il incarne l’absurdité d’un système qui se ment à lui-même, et bien plus grave, qui ment à son peuple. Un peuple coupable de se laisser traiter comme du bétail, et bien que de plus en plus de personnes comprennent et voient vers quoi nous allons, nous sommes pris et captés par la masse immense des complaisants, des passifs, des pensifs, des complices, des soumis, des lâches, qui vont voter comme de bons petits robots pour des sophistes qui bombent le torse en invoquant la grande idée républicaine, chose aussi informe et floue que le brouillard le plus spectral (jouez à Enshrouded !).

Peut-être que ces mots peuvent induire, de ma part, une forme de mécontentement, une sorte d’irritation, une trace d’amertume. Je suis davantage dans la résignation. A force de lire de la sagesse chinoise au détour d’une friandise emballée, je consens à lâcher prise. Les poings fermés et tendus, j’ai fini par m’apercevoir que la corde n’y était plus, et depuis longtemps. Il fallait donc que j’arrête de tirer sur la mienne. J’attends, donc, j’observe et je m’informe, je ne me mêle pas, je reste silencieux, ce qui, pour ceux qui me connaissent, est en soi un exploit de taille.

Comme une ironie que seule l’écriture peut créer comme l’araignée tissant une toile fatale, j’en reviens, je boucle, avec mon titre. Il évoque un film récent que j’invite à découvrir, avec une jeune femme qui se détruit par un terrible désir d’attirer l’attention, jusqu’à la folie, jusqu’à la destruction de sa chair et de son esprit. Je n’ai pas envie d’en arriver là. Je ne veux pas que les zombies finissent par me choper et me bouffent le cerveau. Il aura fallu un jour de maladie pour que j’écrive tout ça, mais paradoxalement je me sens en paix avec moi-même.

Bonne rentrée (sinon) !