L’insignifiance

Avec ma chère fille, je suis allé voir « L’homme qui rétrécit » de Jan Kounen avec dans le rôle titre le grand Dujardin. J’adore cet acteur depuis ses débuts, d’une part car il incarne une animalité qui me rappelle celle de mon défunt père et d’autre part car il a simplement un immense talent, qui peut irriter ou ravir, indéniable et admirable quoi qu’il en soit de votre avis sur la question. Oui, il y a un peu d’autoritarisme dans ce refus de la discussion sur le sujet du sieur Dujardin car personnellement j’estime que nous n’avons plus beaucoup de gueules à nous mettre sous la dent avec cette société du jeunisme sans aspérité. Jean Dujardin c’est une présence, un regard, une voix, une sensibilité, une générosité qui me poussent à lui dire, lui qui ne me lira jamais, « Monsieur je vous aime car il n’est pas possible de ne pas vous aimer ». Et il aura pesé dans la balance au moment d’aller voir ce film, car je dois avouer, bien que je sois un amateur de Richard Matheson, il y a un billet sur ce site écrit au moment de sa mort, je n’ai pas vu le précédent film américain ni lu le roman. Mais du coup j’ai envie de corriger ces méfaits car le film de Kounen est pour le coup un petit chef d’oeuvre immédiat, imprévisible, petit moment de respiration dans une atmosphère d’étouffement généralisé. L’insignifiance n’est donc pas le verdict de mon opinion, bien au contraire, c’est un coup de maître et vu l’unanimité des critiques sur la question je ne fais que me ranger tranquillement dans la cohorte positive qui a salué le film.

Quelle belle thématique, quel beau sujet que l’insignifiance… Dans nos sociétés de vanité, c’est un film qui l’air de rien, pointe nos travers et une terrible vérité, celle de l’éphémère, du dérisoire, de l’inutile. Nos sociétés fiévreusement matérialistes sont entrées en collision avec le sophisme de gouvernance qui use de la fiction pour nous spolier et nous voler au bénéfice d’une petite caste de super parasites. Nous vivons un moment terrible, celui de la prise de conscience, au moment où la douleur se fait trop vive pour être encore ignorée, encore déniée. L’auteur de ses lignes n’est pas trop concerné car ça fait déjà un paquet de temps que je tente, en vain, d’alerter mes congénères. Je dois avouer que ces derniers temps j’ai perdu un peu la fougue de la rébellion, fatigué d’entendre des poussifs passifs me tancer en me répondant « que je fais quoi moi dans mon salon ? ». Les mêmes qui se lamentent après de la charge fiscale, de la facture d’énergie, du vide politique, des files d’attentes aux urgences. Le pire, c’est qu’ayant, il y a peu, eu affaire avec les urgences, je n’ai pas constaté les dérives pourtant partout dénoncées. J’y ai trouvé beaucoup d’humanité, beaucoup de douceur et d’organisation. Ce qui m’a rappelé qu’il ne faut pas non plus sombrer dans la désespérance tragique… Derrière cette faillite organisée, il y a aussi la volonté de nous voir nous entre-déchirer et il faut résister à cette pulsion malicieusement encouragée. Oui, il y a des problèmes à régler, car cette même semaine j’ai eu affaire à des chauffards qui lançaient sur la voie publique des pétards, provoquant chez ma fille une réaction d’agressivité et de violence que j’ai tenté d’apaiser, non en l’encourageant dans la peur mais bien en lui montrant comment canaliser et organiser sa juste colère. Il y a de l’indignité à se comporter comme une bête, et c’est bien cela qui est attendu de nous. Ce qui me permet de rebondir filmographiquement sur le formidable « Seules les bêtes » que j’ai découvert tardivement cette année. Encore un film qui parle d’insignifiance, ou d’humanité, au choix, les mots pouvant être paradoxalement synonymes, selon ce que vous en faîtes.

Je dois avouer que j’ai un plaisir un brin coupable dans l’insignifiance. Car toujours se vouloir au centre du monde, tenir la position de nombril, est chose très fatigante. Il y a quelques années, quand j’ai découvert le premier volet de la saga Hunger Games j’ai détesté pour l’emprunt du thème que Battle Royal avait initié une bonne décennie auparavant. J’y voyais encore le pillage bien ricain d’une oeuvre nippone, à la manière de ce qui avait été fait avec le roi Léo, pardon de ne pas me fatiguer à retrouver le véritable nom de l’oeuvre du grand Osamu Tezuka. Mais maintenant, je trouve le film précurseur et fine métaphore de la réalité d’une centralisation pratiquée comme méthode de gouvernance pour une néo-féodalité qui ne dit jamais vraiment son nom. Il y a, dans Hunger games, cette même frivolité ridicule à s’abîmer dans des travers d’une élégance qui n’est que le fruit pourri d’une vanité friquée. J’avais trouvé le film excessif et caricatural, mais en 2025, je constate qu’on y est. Je ne peux plus regarder un plateau de TV de nos chaînes publiques sans y voir la même valse de petits marquis et autres duchesses au rabais qui s’ébattent dans un monde clos de convenances débiles tout en relayant une fiction limitant le réel à leur dernière réservation AirbnB. Bien laqués, bien sappés, bien embourgeoisés, bien engoncés dans une médiocrité morale et intellectuelle qui reste l’oeillère ultime pour vivre sa meilleure vie. Qu’on ne s’y trompe pas, il n’y a pas d’envie dans mes propos, encore moins de jalousie. De manière très chrétienne, je plains ces gens là, car à mes yeux nos vies ici bas ne sont qu’une épreuve, un terrain de jeu, un test, un laboratoire, un athanor, pour révéler qui nous sommes vraiment.

Je souris en écrivant ces mots car c’est un de mes sujets existentiels obsessionnels que de déterminer, que d’identifier la réponse à cette grande question. Et plus je m’y contrains, plus je pousse la réflexion, et plus j’en arrive au titre de ce billet, l’insignifiance. Pas une insignifiance qui fâche ou qui frustre, une insignifiance qui rend sage et qui apaise. Nous sommes tous, toujours, tout le temps, dans cette éprouvante compétition que sont nos sociétés occidentales et par trop libérales, que nous perdons de vue l’essentiel, pourtant là, écrit et si bien écrit par le petit renard dans le Petit Prince de Saint Exupéry. Toujours, il faut résister à la tentation de haïr pour haïr, d’avoir peur pour avoir peur, de se trouver un bouc émissaire, une bonne raison, une grande excuse. L’insignifiance te protège de tout ça, car de cette vanité qui ne sera jamais qu’une immense, insondable source de déceptions, elle t’en immunise et t’en sauve. C’est ça que j’ai aimé dans le film de Kounen et dans la prestation de Dujardin. Peut-être parce que j’ai l’âge du héros, peut-être parce que j’ai combattu aussi mon araignée jusqu’à la regarder dans les huit yeux pour lui dire à la fin que tout ça n’a pas d’importance. Parce que le dérisoire n’a d’importance que celle que tu lui donnes. Qu’il y a tellement de faux choix, de questions fallacieuses, d’errances stériles. La vie ne se résume pas à être une pute ou un proxénète, voire les deux, selon ta position. La vie c’est se dire que le temps n’existe pas, que tout se joue, là et maintenant, tout le temps et jamais, que les véritables notes de la partition ne viennent que dans les moments de choix que nous colorons de notre intention. C’est peut être ça la réponse existentielle : l’intention. Il est possible de s’interroger constamment en se demandant ce qui est bien et ce qui est mal, la vérité se cache comme une fleur à naître dans l’intention de nos actions. Reconnaître le dérisoire, la fragilité de nos rêves et de nos désirs, la vanité de nos ambitions et de nos constructions, nous renvoie à cette fin qui nous attend tous, crainte ou non, attendue ou cauchemardesque.

Le plus grand crime de notre société, à l’heur(e) d’aujourd’hui, c’est de nous avoir mis en cage en nous ramenant à l’état de bêtes. J’ai écrit, très jeune, un poème que j’avais appelé « les paons » et que je devrais retrouver, à l’occasion, pour jauger à présent de ce qu’il était de mon moi d’alors. « Etre quelqu’un » c’est être dans la matérialité la plus basse et la plus dense. N’être personne, c’est juste être humain. Un grand monarque, un jour, a dit en désignant son peuple que tout se limitait « à ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Les deux pourtant se confondent, les deux sont un même, révélation ironique de celui qui incarne pleinement ce paradoxe. Etre tout et rien à la fois, c’est ça l’expérience de l’humanité. Le problème étant de céder à l’illusion d’ignorer l’un ou l’autre pour se perdre dans une illusion tenace.

Un point de bascule

Quelques jours avant le second tour des législatives et dans les médias les projections et les Cassandre(s) se disputent toutes les théories et les analyses concernant la suite des événements.

J’ai écrit moult billets depuis quelques semaines qui pourrissent dans la section des brouillons de ce site. Dans l’un d’entre eux je me risquais à la métaphore en disant simplement que pour retrouver la santé tous les régimes possibles ne sont guère utiles lorsque vous vous trouvez dans un bolide dont vous n’avez pas le volant. Mais à vrai dire, je pense que le problème politique, démocratique, économique que nous traversons est, dans la configuration systémique qui est la notre, insoluble.

Ce matin, j’écoutais un fervent défenseur de la démocratie représentative… D’ordinaire, je suis davantage habitué à ceux qui la souhaiteraient davantage participative. Nous sommes dans un moment de tumulte pendant lequel chacun donne son opinion, sa vision des choses, sa solution, son remède, son expédient. Quoi qu’il se passe dimanche, nous serons dans la continuité d’une phase de révélation qui s’est entamée à l’issue des élections présidentielles en 2022. Il n’y a pas de mouvement révolutionnaire en marche, il n’y a, de gauche comme de droite, en exceptant de traiter chacun d’extrême, qu’une molle intention réformiste.

Quelle chose merveilleuse que la réforme. Allez, perdons quelques secondes précieuses à analyser le mot. Re-former, en résumé, donner une nouvelle forme à une chose qui nécessitait d’en changer. Ce qui m’amuse toujours avec la réforme, c’est qu’elle contient en elle, par un abus dogmatique, l’idée qu’elle est toujours un progrès. Sérieusement. Et dans notre système au sophisme triomphant, la réforme devient un levier puissant pour valider une idée sans vraiment faire la démonstration des arguments. C’est comme ça que depuis des années ont été détricotées de très belles choses pour d’excellentes raisons, en donnant les récoltes minables ou les pires conséquences, sans que jamais ne soit remis en cause l’abus de la réforme pour la réforme. De la malédiction de la conviction qui en politique fait qu’on puisse endetter un pays pour 30 générations en prétendant l’avoir messianiquement sauvé.

Quoi qu’il arrive, qu’il y ait un pourrissement ou des ajustements à la marge, rien ne va changer. Le signe qui détermine mon pessimisme ? La stabilité de la bourse qui après une période d’angoisse s’est vite rassérénée.

Certains veulent y croire, un peu comme si nous nous trouvions à la veille d’un grand matin. Vous êtes sommés de choisir votre camp. Mais plus que jamais, à mes yeux, il n’y a pas de salut dans ce que j’entends. Le piège de nos sociétés libérales, c’est que la solidarité, la volonté même de construire une société humaine fonctionnelle visant le bonheur collectif, arrive en queue de peloton derrière les intérêts personnels. Les intérêts de classe, les intérêts électoralistes, les intérêts à la bourse, en bref des agios comptables, très personnels.

Donc j’irais voter, marionnette de plus dans un théâtre bien organisé. Après, il sera intéressant de voir les postures et les impostures que vont révéler les votes, les projets de loi, les discussions. La politique française s’est totalement décrédibilisée depuis un demi-siècle, dans l’indifférence générale. Il reste à espérer que cette fois le peuple, cet entité très fictive, prenne conscience de l’énormité du propos démocratique. Il y en a encore, beaucoup trop, qui sont dans l’euphorie d’une apothéose civilisationnelle. Et tous ceux qui douteront seront classés impitoyablement dans une catégorie spécifique qui suffira à balayer tout moment de réflexion, voire de conscience. Il n’y a pas de bons et de méchants. Ils s’insultent tous entre eux, ils se traitent tous d’une manière ou d’une autre, en bref le débat n’est permis qu’avec les pratiquants d’une même chapelle ou ça tourne à l’ordalie. Dans cette manière de faire, il n’y a d’ailleurs plus d’élégance élémentaire ; taper à plusieurs est encouragé voire souhaité, car ça permet de satisfaire la foule romaine qui se presse au colisée médiatique. L’important c’est vaincre, la faim justifiant les moyens.

Que restera-t-il de toute cette incandescence ? Des cendres grises et froides ou des braises qui attendent de faire de grands brasiers ? Dans la chaleur d’un été qui commence, il y a fort à croire et à craindre que tout sombre, avant la rentrée qui promet d’être très tumultueuse, dans une mollesse de saison. Après, la Bastille est tombée en juillet, tout est possible, mais je crains encore qu’à autre époque, autres mœurs. Le point de bascule est encore loin, loin à l’horizon. Personne n’y est vraiment prêt, et je me demande même si la majorité le veut. Nostalgique des années où la France suivait les rails d’une autonomie qu’une élite humaniste avait voulu, certains voudraient revivre les mêmes heures en conservant les avantages de la libéralité. Penser pour tous ou penser pour soi, nous en sommes là, et entre les dialogues de sourds et les monologues enfiévrés, bien que je passe pas mal de temps à écouter attentivement les logorrhées diverses et variées, rien qui me fasse annoncer aujourd’hui qu’il est reviendu le temps des cerises (ou alors sur le nez du clown – celui qui fait peur, pas l’autre !).

Le chaos avant quoi ?

Terrible époque que nous vivons, un monde en changement, un monde en ébullition avec la sensation d’un écroulement que déguise de plus en plus difficilement un monde médiatique semblant déconnecté de la réalité. J’ai énormément de boulot donc je passe mon temps à gérer des micro problématiques mais hier ma fille me demandait pourquoi je n’écrirais pas un bouquin sur un des nombreux sujets qui me passionnent. Soit, je pourrais, je peux, mais c’est paradoxalement sur le sujet du langage que je souhaiterais m’appesantir. Nous sommes dans un processus manipulatoire tellement généralisé que ça ne cesse de me fasciner, tout en me révulsant, évidemment. Il faut dire que nous subissons des abus déclamatoires, incantatoires, qui à la fois dénoncent l’imposture et révèlent l’impunité. Tout a été organisé pour maximiser notre impuissance, grâce au moteur de notre adhésion tacite ou involontaire. Par exemple, l’invitation au dialogue qui n’est plus, depuis des décennies, qu’une méthode pratique pour désamorcer les potentielles crises. Nous sommes devenus, je parle de la France, un peuple bien éduqué, bien élevé, qui ne conçoit plus qu’agir en suivant des règles, fussent-elles ineptes et injustes. Cette propension à la soumission volontaire est pourtant un gage d’infamie pour ceux qui ont été élevés dans la gloire du passif révolutionnaire. Que restent-ils des gaulois réfractaires ? Ont-ils seulement exister ou ne sont-ils qu’une autre marotte symbolique qu’on nous récite pour nous faire rêver d’un passé magnifique au lieu de nous laisser grandir en nous faisant affronter la dure réalité du présent ?

J’ai toujours eu la mélancolie d’être un homme sans racines, pas que j’ignore les origines de mes parents et le parcours de mes ancêtres, mais je suis le fils d’un homme parfaitement adapté à cette société « liquide » que nous vend en permanence le monde libéral. Mon père était un homme brillant, capable et compétent, et il a bénéficié des avantages d’une ébauche de méritocratie qui a, un peu, existé durant les trente glorieuses, avant que nous vivions la phase actuelle qui consiste à reprendre ce qui avait été durement concédé. J’ai donc beaucoup bougé dans mon enfance, j’ai tenté de suivre un peu les traces du papa à l’âge adulte, mimétisme oblige et illusions inflige, avec toujours la sensation de n’avoir que la construction personnelle comme élaboration de mon identité. Il me revient une anecdote cocasse et cruelle qui démontre en la matière l’absence d’instinct paternel de mon auguste patriarche. J’avais, à la fin de l’adolescence, le réflexe d’indiquer que j’étais bourguignon quand on me demandait mes origines, d’où je venais… simplement parce que j’avais vécu quelques années à Mâcon, et que j’y avais été très heureux. J’avais aimé les paysages magnifiques du Macônnais, j’avais aimé les gens, notamment dans les villages, accueillants et généreux, j’avais envie de m’attacher, de me rattacher à cette partie du peuple que je sentais bienveillante et courageuse. Un jour, alors que mes parents reçoivent ceux de ma compagne d’alors, le père dit au mien que je suis donc bourguignon, ce qui est balayé par mon géniteur dans un rire à la fois plein de cynisme et de sarcasme. Cette dénégation m’aura beaucoup marqué, comme une sorte d’anathème qui m’envoyait la réalité en lieu et place du petit arrangement que je voulais faire avec les faits. J’étais définitivement condamné à n’être qu’un homme sans racines ni attaches, j’étais condamné à être ce nomade moderne qui fait du monde entier son refuge et son foyer. En bref, j’étais destiné à n’être qu’un individu de plus et à m’en faire à la fois la raison mais aussi la conviction.

Etre un simple individu vous oblige à deux choses principales, contraires et violentes. Vous ne pouvez être que celui que vous devenez et pas celui qui vient de quelque part. Il n’y a pas de passé, pas de mélancolie, il n’y a que la route qui se présente devant vous, à parcourir, jusqu’au bout. Enfin, vous obtenez la force morale de celui qui n’a rien à perdre que ce qu’il est vraiment. Ce qui entraîne la création d’un surmoi monstrueux qui vous dicte, jour après jour, sa longue liste d’obligations morales et intellectuelles qui vous imposent une manière d’être camouflant la réalité d’une survie. Je suis devenu l’homme que je voulais être, mais je constate que le monde qu’on me propose n’est qu’un vaste enfer à ciel ouvert. Je n’ai pas à m’en plaindre par rapport à mes congénères, liquide par décision parentale, je suis donc habitué à m’adapter et à survivre quelles que soient les épreuves, la fameuse résilience qu’on nous rabâche pour nous faire toujours plier davantage. Surtout, je me suis armé intellectuellement et culturellement pour affronter ce monde… j’y traîne souvent comme un carnassier dissimulant ses dents, car je sais que nous ne sommes plus en terrain neutre. La brutalité est partout, la violence légale comme sociale une triste réalité, il faut donc en permanence être prêt à rendre ce qu’on vous donne sans hésitation ni faiblesse.

Il y a deux jours, mes enfants m’ont fait une magnifique déclaration d’amour, qui m’a touché car je ne voulais pas, je n’escomptais pas, d’être père. Ils me témoignent la reconnaissance de leur avoir donné certaines armes pour s’adapter à la vie à venir, surtout ils peuvent juger à présent de la valeur des avertissements et des éclairages que j’ai tenté constamment de leur donner, au gré du temps et de leur croissance. J’ai appris il y a longtemps que l’art de la paternité consiste surtout à ne pas déformer un enfant avec son petit ego mais bien veiller à ce qu’il puisse grandir et évoluer en suivant sa propre route. Ce n’était pas évident de les encourager à devenir des citoyens tout en leur apprenant la défiance envers tout système qui vous contraint et vous oblige. Je sais combien il est difficile de vivre sans illusion, pourtant c’est la condition pour ne pas s’y perdre. Le monde d’aujourd’hui est un monde dont les chimères ne deviennent plus que de pâles silhouettes qui ne convainquent plus personne. C’est à la fois abominable et nécessaire. Nous arrivons dans une période de chaos qui débouchera sur un nouveau paradigme, qui ne sera d’ailleurs qu’un système aussi temporaire que terrible. Comme si l’humanité ne pouvait que toujours subir et endurer ce cycle entre désir de justice et écrasement par l’injustice. Douze mille ans que l’homme se rêve et s’invente pour toujours en arriver à ces déséquilibres flagrants, il y a tout de même la sensation, personnelle, d’une absurdité propre à la nature humaine, inéluctablement contaminée par sa tendance à la névrose décomplexée.

Même si je ne suis pas aussi vieux que ça, je sais que je suis davantage vers la fin qu’au début, et je sais qu’il y aura de nombreux combats à mener à l’avenir. Je me pose la question de les mener ou pas, en compagnie des générations futures qui vont payer durement tous ces mauvais choix, cet égotisme dégénéré qui détruit la nature et nous empoisonne tant le corps que l’esprit. Si je dois écrire, ce sera pour tenter d’éclairer ceux qui veulent être libres, car je crois toujours que tout est affaire de choix. Et à présent, tout est à faire ou à refaire, aussi. Etre sans racine m’a aussi inculqué ça : quand rien n’a de sens, à toi d’en créer, à toi d’en donner. Libéré des carcans des obligations de ceux qui ne songent qu’à accaparer à ton détriment, garde en tête que ce monde n’appartient à personne : nul n’a le droit de créer son bonheur en privant un autre du sien.

La règle morale simple que j’ai inculqué à mes enfants alors qu’ils étaient tout petits : tenter d’agir toujours avec bienveillance, en étant capable d’estimer la polarité de ses actions. Simplement, quand tu agis, si cela provoque de la souffrance chez autrui, c’est mal, quoi que tu te dises ou quoi que tu essaies de justifier. Il est plus que compliqué, naturellement, de toujours agir sans provoquer du tort… mais il convient d’en avoir la conscience et de ne pas en rejeter la responsabilité. Le chaos que nous vivons actuellement est la simple conséquence de la perdition morale qui caractérise un monde ultra-libérale qui déguise constamment les faits aux détriments des êtres. Il est important, plus que jamais, de revenir à une véritable justice sociale qui ne peut, par ailleurs, plus être imaginée ou voulue à la dimension d’une nation, mais bien à celle d’une planète. Plus que jamais, la France non en tant que petit pays cocardier mais bien en tant qu’idée d’un humanisme puissant a un rôle à jouer.

Non, pas cette France d’aujourd’hui, l’autre. Celle qu’il convient de ressusciter avant qu’elle ne soit plus qu’un rêve, une triste et décédée chimère.

De retour

Le souci quand on a plusieurs sites avec WordPress c’est qu’une mise à jour Php pour l’un d’entre eux peut engendrer maints déboires pour les autres. Ce fut le cas pour Arcticdreamer.fr qui a souffert de mon agenda très chargé. Ce matin, j’ai pris le temps de faire les choses, en attendant de les faire bien, c’est pour cela qu’il n’y a pas vraiment de mise en page, j’ai installé un thème rapido et hop, tournez manège !

Après, ce n’est pas comme si j’en avais à faire de ce site, c’est davantage une expérience personnelle que je poursuis car je suis un peu comme ça, j’ai du mal à détruire ce qui a pris du temps et de l’attention. Mais bon, quand je relis ce que j’écrivais il y a 11 ans et l’écart plus que gigantesque avec l’homme que je suis à présent, j’ai comme toujours l’impression qu’il n’y a aucun mal à effacer ce qui a été pour aller de l’avant, et au moins ne pas faire peser sur le présent les chimères/croyances/illusions d’hier. Au niveau sociologique c’est tout de même intéressant de me pencher sur le fantôme de ma personne passée, en cela les billets de ce site sont intéressants car le cliché d’une époque dont je serais le petit négatif. Qui sait, peut-être qu’arcticdreamer.fr évoluera vers autre chose à terme, j’ai toujours eu envie d’écrire une suite au roman de Shelley avec sa créature fascinante ?

De là me frappe une mise en abyme, avec l’idée de n’être que la créature d’un moi intérieur qui me manipulerait telle une marionnette ! Allez, j’arrête la déconnade, bonne journée 🙂 !

Le chat

Clin d’œil avec un beau poème de Baudelaire qui me fait sourire en ce début d’année 2024 !

A ma petite Gaïa, mon petit rayon de soleil tout noir !

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal

De la religiosité

Je n’écris pas assez souvent sur ce blog mais il est de moins en moins évident, maintenant que j’ai cédé à mes ambitions créatives, de trouver du temps pour m’adonner aux douces joies de l’écriture récréative. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, encore moins l’inspiration, simplement le processus d’écriture est devenu pour moi plus facile, plus fluide, ne nécessitant pas une discipline particulière… Je me faisais la réflexion, il y a quelques jours, que l’écriture ne se nourrit finalement pas des lectures, mais bien d’une certaine structuration de la pensée. Pensée qui ne s’épanouit que par le ferment des mots dans un grand jardin mental, psychologique, qui lentement prend forme puis s’agrandit au fil du temps. J’en suis à muser souvent dans ce labyrinthe végétale, neuronale, où de manière chtonienne, à comprendre dans un sens hiérarchique et non dans une connotation un brin religieuse (sujet du billet – oui, j’ai de la suite dans les idées), les racines s’entremêlent et se mélangent, composant son propre réseau, un véritable système que je suis incapable d’analyser ou comprendre, mais dont je reçois à présent les fruits généreux. J’avoue que je suis parti de très loin, de cette ambition il y a longtemps de m’éduquer, toujours tout seul, toujours par moi-même, et j’en savoure à présent les bénéfices. Ecrire n’est ni compliqué, ni difficile, ni complexe… c’est juste du temps, encore du temps, toujours du temps, à consacrer à un exercice nécessaire pour vivre vraiment, et ne pas se contenter d’être une machine cognitive toujours en boulimie d’informations, de sensations, de plaisirs. Je sais que le piège est de sombrer dans la mondanité, le cabotinage, la pédanterie, les affres faciles d’une intellectualité qui jouit d’elle-même. Il est important de signifier, dans ce monde de légèreté, dans ce monde où la superficialité se veut le paravent d’une candeur louable là où souvent il n’y a que vides abyssaux, le bonheur de la pensée, du recueillement, de la réflexion, de l’abstraction. C’est le rôle de ce blog, toujours et encore un journal intime à ciel ouvert, propos d’une hypocrisie revendiquée car jamais je n’aborderai ici la vérité de ma vie personnelle. Je m’amuse simplement de n’intéresser personne et de m’en sentir toujours un peu plus libre. Parfois, je me demande si quelqu’un pourrait trouver quelque intérêt à parcourir mes longs billets verbeux, mais dans cette société de ricaneurs, cette société du commentaire et de la pensée liminale, je n’ai guère l’illusion d’une quelconque âme sœur. Depuis longtemps, depuis toujours ai-je envie d’écrire, je m’active pour l’écho qui comble le silence, pour ce sens qu’il faut quand même donner pour lui donner… sens.

Donc, la religiosité… quand je me demande ce que je pourrais écrire d’un peu intéressant, d’un peu profond, je ne trouve toujours que cette analyse des mécanismes que j’observe dans nos sociétés qui vivent, tranquillement mais sans rémission, leur décadence. Et en ce moment, s’associant à la verticalisation que j’ai évoqué dans un lointain et précédent billet, la religiosité revient en force dans la définition du monde. Il convient de préciser ce que je nomme religiosité… instinct, attitude, mouvement qui prêtent à conférer à quelque chose un aspect sacré le hiérarchisant au-delà de la possibilité de la moindre critique, de la moindre contestation. La religiosité, c’est bien d’affirmer qu’il y a quelque chose de divin, qu’il y a dans l’objet de la sacralisation quelque chose à adorer et à protéger de la corruption du commun. Le religiosité c’est bien l’établissement d’une caste de hiérophantes qui se font rempart entre les mortels de basse extraction, les barbares sans foi ni loi, et la chose à révérer. La religiosité de nos sociétés ultimes s’expriment dans la protection, la valorisation, l’ardente passion pour un panthéon d’institutions ou de concepts qui sont autant de nouvelles divinités qui ne peuvent subir la moindre contestation sans que la suspicion de l’hérésie ne pèse sur le contempteur. Ce panthéon se compose par exemple de la Science, la Démocratie, la République, la Constitution, le Droit, la Loi, la Liberté, la Vérité, et de manière connexe les corps institutionnels qui en assurent l’adoration soit la Justice, la Police, l’Etat, l’Education,etc. Nous sommes à ce point où une sorte de constat nous est imposé comme quoi nous serions à l’acmé des systèmes sociaux, avec une sorte d’architecture finale de nos modèles sociétaux.

Je suis tombé par hasard sur un film de SF avec Adam Driver (mais que fait-il dans cette galère ?) qui se nomme en VF « 65 – la Terre d’avant ». Le pitch est en lui-même assez bluffant… en bref, un homme (comprendre : un bipède en tout point semblable à nous) échoue sur notre planète 65 millions avant JC (enfin j’ai la flemme d’aller vérifier l’exactitude de cette convention chronologique, c’est l’idée !). Donc le pauvre gars dès le début du récit échange avec sa compagne dans un trip « les méandres de la classe moyenne prise dans les tourments des contraintes sociales et économiques », abordant subrepticement mais clairement la question du salaire comme élément notable d’une prise de décision qui va quand même le faire partir à minima deux ans loin de sa sacro-sainte cellule familiale dont il est le cœur battant (il ramène le pèze – l’argent ou l’Argent au choix). En fait, on dirait que ça se passe en 2096 mais non, c’était il y a 65 millions d’années avant, comme quoi l’être humain, l’Homme (qui a perdu de sa religiosité en ces temps d’émancipation et d’égalitarisme), ne peut que sombrer dans une sorte de boucle sociétale le condamnant aux affres de la société inévitablement, fatalement (fatus), productiviste. Après, j’avoue que ça m’a gonflé, autant ça finit par une boucle à la manière de la planète des Singes, le gars est le chaînon manquant, et 65 millions plus tard c’est bien la même m… qu’il a initiée provoquant la prochaine mise en orbite d’un bipède du futur qui va aussi s’échouer sur une autre planète d’une autre galaxie pour initier la perpétuation systémique, panspermie doctrinale faisant de l’exploitation et des inégalités sociales le seul destin potentiel d’une espèce humaine condamnée à se subir.

En bref, car je ne vais pas passer mon dimanche matin à gloser sur le sujet, sur ce constat d’une régression généralisée, d’un retour à la féodalisation que j’ai déjà décrit il y a quelque temps, j’aimerais tout-de-même, timidement, avec un brin de provocation, que je suis à la fois déçu et un peu atterré du manque de créativité sur le sujet de la structuration de nos sociétés humaines. Est-il à ce point là inenvisageable de concevoir une humanité débarrassée des travers du matérialisme, de l’égocentrisme, de cet hubrys puéril qui nous pourrit la vie en légitimant toujours les bas-instincts, les inégalités et les injustices, dans un fatras de compromis et de compromissions ? Une société humaine, dont l’ambition principale serait de veiller au bonheur général, à l’intérêt général, qui travaillerait de concert à créer un monde de justice et de paix n’est-elle qu’une fiction impossible ?

La sacralisation tranquille qui clôt tous les débats médiatiques dans une vision figée et mortifère des systèmes sociaux est à l’évidence une autre tactique pour tenir encore un peu des systèmes qui, sous la pression des injustices, du malheur et de la souffrance, appréhendent l’inévitable explosion. Et toute la cohorte des hiérophantes qui constamment viennent avec de biens artificiels vérités clore les discussions en imposant la censure, le silence, la bienséance, le Bon Sens, la Raison, la Sagesse, en imaginant au bout du bout imposer un narratif de plus en plus déconnecté de la réalité (à opposer à la Réalité) ne pourra sauver la construction sociale dont la base est de plus en plus sabotée par la corruption malheureusement généralisée, installée comme une artère principale, nécessaire à la continuité. L’abus de la sacralisation, la ferveur religieuse qui essaient d’imposer des concepts comme autant de fausses idoles à révérer, défendant de les contester, de les interroger, de les voir pour ce qu’ils sont, soit des outils malléables à notre disposition pour les réduire au rôle de murailles à une vision passéiste de la société humaine, ne finira que par l’émancipation. Ce qui prendra du temps, car nous sommes dans une ère de chimères ; jamais le mot apocalypse n’aura révélé de nos jours son sens véritable, qui est celui d’une « révélation ». Souhaiter l’apocalypse devient paradoxalement attendre de meilleurs jours, ce qui en soi, n’est plus une provocation, malheureusement… Imaginer un monde sans religion et sans religiosité m’irait très bien, personnellement.

Bon dimanche, jour du seigneur, un mot qui me tente par un dernier jeu de mots que je n’oserai pas (ne nous faisons pas, inutilement, de mauvais sang).

Irrévérence

Je suis malade, chose très rare, mais du coup ça fait quelques jours que j’attends, impatiemment d’aller mieux. Méthode Coué à fond les ballons, mais à vrai dire rien n’y fait. Je suis las et je n’ai pas cette énergie qui me caractérise. Alors je me dis que je vais aller bloguer un peu, histoire de.

Ce ne sont pas les sujets qui manquent… au rayon vidéo, j’ai été enthousiasmé par la nouvelle série de Nicolas Winding Refn, Copenhagen cowboy que je recommande chaudement. Affalé sur mon oreiller à peu près toute la journée de samedi, j’ai bingwatché (dévoré) la série en m’extasiant souvent sur les choix de réalisation. J’avais maté la veille the Pale blue eyes de Scott Cooper que j’ai trouvé remarquable mais pas autant que son Hostiles qui m’avait subjugué quelques années avant. Hier soir j’ai fini Peacemaker sur Prime du trublion James Gunn que j’ai, bien malgré moi, beaucoup aimé. Partant d’une critique négative soulignant la vulgarité du propos (des mots gros) et de la forme (du sordide à la pelle), je n’ai vu pour ma part que du James Gunn. Du coup ça me donne l’envie de découvrir son Suicide Squad que j’ai boudé à l’époque en raison d’un agenda bousculé. Il y a plein de petites péloches qui m’emballent régulièrement, dont personne ne parle vraiment, et que je pourrais à terme mettre en lumière dans des productions Youtube (par exemple, Long Week-end sur Prime que j’ai découvert après avoir acquis son remake, ou Shimmer lake sur Netflix que j’ai croisé dans les recommandations tout à l’heure). Enfin, vu le boulot qui m’attend cette année, je ne vais pas commencer à trop m’en demander.

Au rayon politique… comment dire ? Hier matin il y avait l’édito du Monde Moderne animé par l’excellent Alexis Poulin qui était dans un état presque dépressif en considération de l’apathie généralisée. Je continue mes commentaires assassins quand je vois de la propagande honteuse mais je comprends que certains aient la tentation de baisser les bras. Plus que jamais, il faut sortir des illusions de la Khimairacratie qui renvoie à un de mes récents billets. Il y a dans notre beau pays (sisi) cette vanité d’un passé glorieux comme si nous étions tous issus d’un peuple et d’une culture dont la nature combative et vertueuse ferait partie intégrante de notre ADN. Se croire ou être, nous y sommes, et dans les faits il faut bien convenir que ce n’est pas très glorieux.

Au rayon philosophie du pauvre (ce n’est pas un crime de ne pas être riche non plus), en écoutant la chronique de Thomas Porcher commentant ce jour la réalité de la nécessité d’une retraite repoussée versus la réalité sociologique, un mot m’est venu que j’ai donc utilisé pour nommer ce billet : « irrévérence ».

Tandis que j’écris ces mots, mon fils m’envoient une suite de SMS pour me dire qu’il a commencé à voir Full Metal Jacket de Kubrick. J’en profite pour lui expliquer que dans presque tous les films de Kubrick, il y a une critique systémique et la dénonciation du processus de conformation. Et j’en reviens à ce que je veux écrire ce jour sur ce blog, soit la nécessité de l’irrévérence pour sortir de cette triste spirale. J’ai toujours essayé d’enseigner à mes enfants les vertus cardinales de l’irrévérence, sans jamais vraiment y parvenir. Ils sont insolents et ont développé leur propre personnalité, mais ils n’ont pas forcément le réflexe de tout discuter et de tout interroger. Rien de pire dans nos sociétés que ce réflexe d’obéissance, qui est défini comme une vertu par ceux que ça intéresse. Un paradoxe de cette société qui exige l’obéissance la plus extrême tout en encourageant les bas instincts les plus primaires. Ce qui nous donne cette société manichéenne où à longueur de temps des éditorialistes nous expliquent ce qui est bien ou mal, ce qu’il faut bien penser et surtout pas mal penser. Jamais nous n’aurons été dans cette sorte de monologue médiatique où les intervenants se succèdent pour appuyer la même idée avec le dogmatisme ou le petit doute nécessaire pour faire croire que vous êtes trop con pour ne pas avoir atteint leur haut niveau de conscience. Certains imaginaient un totalitarisme violent et autoritaire. Nous en avons un qui est à la fois condescendant et vicieux. De ce refrain constant du « ils sont trop cons pour comprendre ce qui est bon pour eux ».

L’irrévérence est pourtant le seul recours dans un monde où les règles sont écrites non pas pour rendre le jeu équitable mais bien truqué. Je pense à tous ces jeunes qui sont suffisamment intelligents, malgré le réel processus de médiocratisation, pour comprendre l’escroquerie. La vénération volontaire, travaillée, exigée, par nos élites, est maintenant à défier pour oser imaginer notre propre société autrement.

Un premier pas avant de rêver, peut-être, le reste du monde. Qui sera bien meilleur que ce qu’il nous est donné de constater à l’heure d’aujourd’hui, malgré les ébahissements des orateurs qui interprètent toujours tout comme si nous étions dans une sorte d’apogée civilisationnelle, là où il n’y a que décadence et corruption.

En passant…

Très longtemps que je ne suis pas venu ici pour poster un article, mais le boulot m’accapare, mon grand projet qui prend forme petit à petit en me demandant toute mon énergie et tous mes efforts. Mais au vu des événements, il faut écrire pour témoigner. Même si ce blog n’est que mon journal intime à ciel ouvert, en résumé juste un espace personnel pour défouler, un peu, ma passion pour l’écriture, c’est important à l’heure actuelle de signifier sa position par rapport à l’orientation d’un monde qui part dans une très mauvaise direction.

J’adore les mots, j’adore le langage, je suis philologue au sens étymologique du terme. Très jeune, on a remarqué cette facilité que certains qualifient de don et qui n’est à mon sens qu’une expression d’une certaine sensibilité. Quand j’étais enfant, les mots sonnaient comme des notes de musique et longtemps, j’ai écrit en composant plus qu’en réfléchissant. Je suis très sensible à la poésie et je peux être véritablement ému à la lecture ou à l’écoute d’un beau texte. Il y avait pour moi une forme d’harmonie dans l’écriture qui longtemps, fut ma boussole. Puis avec le temps est venu la quête du sens. Soif de culture avant tout, car je venais d’un milieu humble malgré des parents d’une rare intelligence et d’une certaine finesse. Je ne suis pas l’expression de mon habitus, je suis pour le coup, et j’écris ça avec énormément d’humour et de dérision, le parfait français. Actuellement, c’est compliqué d’écrire ou de dire ça, car dans cette époque trouble de repli sur soi, de haine et de rancoeur pour cet autrui qui nous prend tout, dans cette hystérie qui raconte une réalité où les espaces sont menacés en permanence d’une perfide invasion… être français sonne comme une déclaration de guerre.

Paradoxe étrange de ce pays tellement enivré de lui-même, de l’image qu’il se fait de lui, de cette idée fixe qui compose l’essentiel du discours patriotique. Le pays des Lumières, le pays des droits de l’homme, le pays de la Liberté. Et aussi de tout son inverse, des pires exactions, des pires corruptions. J’ai eu l’immense chance d’avoir deux grand-pères formidables, les deux militaires, qui ont été du bon coté en 39/45. Du coté maternelle, il crapahutait aux cotés du Général Leclerc, et il a débarqué à Paris à l’issue de cette odyssée. L’autre a reçu, deux mois avant sa mort il y a 5 ans , son euthanasie pour être précis, la légion d’honneur pour acte de bravoure (dynamitage de voies ferrées dans la Résistance). Je me rappelle mon grand-père paternel avec qui j’avais un rapport particulier, un rapport fort, car nos caractères avaient l’évidence la même hardiesse… ce que je comprends, à présent, avec le temps. A peine avait-il reçu cette médaille, rentré chez lui, vautré dans son fauteuil, affaibli et parfois hagard, qu’il me regarde et me demande si « effectivement, c’était important » ? Je l’ai regardé et j’ai répondu du fond de mon coeur, le plus sincèrement que ma propre pudeur le permettait : « bien sûr que c’est important ».

Je ne parlais pas de la médaille ; je parlais de l’acte. Je parlais de ce qu’il avait fait pour la mériter, après tant d’années passées en n’ayant jamais mis à profit cette héroïsme véritable, là où d’autres avaient fait des carrières opportunistes. Mes grand-pères étaient français, chacun à leur manière. Français comme l’explique si bien Romain Gary dans les cerfs-volants, avec cet officier allemand qui trouve la mort après l’attentat raté contre Hitler. Français comme l’ont rêvé nos plus grands écrivains. Je ne suis pas fier des faits de guerre, je ne suis pas fier d’une histoire conçue comme un artefact à destination d’un ego sans cesse boursouflé. Si je ne peux pas croire les récits d’un passé sans cesse recomposé et toujours davantage héroïsé (voire érotisé vu les passions que certaines légendes suscitent), jusqu’au déni d’une réalité pourtant récente (la collaboration), je peux me fier à la plume de Victor Hugo, de ces fameuses Lumières, de ceux qui au fil du temps ont témoigné d’une sagesse et d’une grandeur, qui sont, elles, véritables.

Je me sens français quand je lis l’Aigle du casque et sa justice immanente. Je me sens français quand je lis Camus… je me rappelle mon émotion, à 18 ans, quand j’ai lu la Chute, récit frénétique jusqu’à la fin, jusqu’à la chute, nous renvoyant tous à l’hypocrisie de nos postures, à la damnation de nos acquis. Je me sens français quand j’entends les citations de tant d’artistes qui font notre grandeur. Je me sens français quand je pense à Saint Louis qui lui, en vrai monarque, allait en aide aux plus défavorisés. Je me sens français, quand j’entends la Marseillaise, car je vibre d’émotion en imaginant ces gens révoltés. C’est ça mon ADN de français, ce n’est pas du chauvinisme aveugle mais bien la fierté d’un héritage d’humanisme et de grandeur.

Je me sens français quand je me rappelle ce qu’il y a, dans ce mot, « France ». Je suis parfois tristement sidéré, quand je pose la question à mes compatriotes, qu’ils n’entendent plus le son qui pourtant, moi, me frappe. France comme free, France comme Franck… une racine commune qui infuse dans tous ces mots la notion de liberté.

Etre français, pour moi, c’est refuser la tyrannie. C’est refuser d’oublier les idées et les idéaux qui sont inscrits, beauté sublime, dans notre constitution. C’est voir aussi le mal, sans louvoyer, comme l’aigle du casque qui écœuré par la méchanceté, la vilainie de Tiphaine, prend soudainement vie. Etre français c’est trois mots qu’on oublie à l’heure d’aujourd’hui. Trois mots qui ont la force et la puissance, qui sont la plus parfaite des trinités : Liberté, Egalité, Fraternité. Tout est là, il n’y a rien à gloser ou à dire de plus. Juste à s’interroger si cette simple loi, celle qui domine toutes les autres, est respectée. Etre français, ce n’est pas dresser une cocarde vidée de toute sa substance pour semer la haine, la discorde et l’injustice. Etre français ce n’est pas prétendre défendre une république fantôme, une république fantoche, qui oublie que sa seule raison d’être est de servir, et non asservir, son peuple.

Alors oui, je suis le parfait français, en cela que j’aurai toujours en horreur l’autoritarisme, le totalitarisme, et surtout, l’injustice. Je suis profondément atterré par le niveau des débats en politique, par la décadence et l’impéritie de la scène politique. Je constate la profonde division de notre peuple qui se déchire au gré de toutes les manipulations, les provocations, les intimidations de ceux qui détiennent le pouvoir et entendent bien le garder. Je suis si profondément déçu que le réflexe soit encore de s’en prendre, si lâchement, aux minorités les plus silencieuses et les plus vulnérables. C’est si facile, c’est si minable, c’est tellement pratique, également.

Je suis le parfait français et je suis donc profondément imparfait car j’ai conscience de n’être rien, et j’en suis pour le coup très fier… car c’est une preuve d’intelligence. Mais à notre époque cynique où l’amoralité est un consensus, il vaut mieux lire Machiavel que Blaise Pascal. Pourtant, je vais citer ce grand français car c’est dans son humanisme que moi, personnellement, je me retrouve… et que je veux demeurer malgré le bruit des bottes et la menace de la trique :

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

Blaise Pascal, Pensées, fragment 347