Claudia Cardinal et le Cheyenne

Bon… Je finis ce jour une grande étape dans mon travail, je m’arrête un instant avant de m’y remettre, et paf, je prends dans la ganache la mort de Claudia Cardinale…

J’ai un film favori, un film qui l’air de rien parle de moi, de qui je suis vraiment. Un film que j’ai vu, estimation à la louche, une quinzaine de fois… pour tout avouer, je l’ai revu il y a 3 semaines quand j’ai essayé de le faire découvrir à mon fils. Ce film, c’est « Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leone, avec notamment Claudia Cardinale dans le rôle de Jill.

Je ne dirais pas pourquoi ce film est mon film, pourquoi il le reste depuis tout ce temps, sachant que je l’ai vu la première fois à l’âge de 13 ans, en étant un peu déçu par ailleurs… Déception coutumière quand, à force de te vanter quelque chose, ton attente ne peut qu’être déjouée par ce que tu découvres. De l’importance de ne pas nourrir d’attentes et de réaliser ses propres rêves ou ses propres désirs.

Mais à chaque fois que je revois le film, la première fois que le magnifique visage de Claudia Cardinale apparaît à l’écran, je suis toujours subjugué. Je suis un homme très étrange concernant les femmes car je les respecte profondément. Un respect qui les aura souvent beaucoup déçues, mais je suis un fils à maman, et maman était une femme hors du commun. Alors, sans rechercher ma mère chez les femmes qui ont partagé de près ou de loin ma vie, j’ai toujours ressenti un ineffable bonheur en présence de ce féminin sacré qu’incarnait si parfaitement ma maman. Un féminin sacré qui porte bien son nom et qui aura toujours suscité mon respect, une certaine distance, une attente aussi, peut-être, pour le coup. Je suis un homme de désir, je suis un homme à la masculinité très prononcée et paradoxalement très féminin par une sensibilité et une générosité qui auront souvent été des obstacles mais aussi une saine limite. C’est pour cette raison que je suis un homme loyal, c’est aussi pour ça que je n’aime jamais qu’une personne à la fois et qu’il n’est pas possible d’intégrer la tromperie dans mon mode de vie. Comme je l’ai répété à tant de femmes qui ont eu la volonté de me materner, j’ai déjà eu une mère et je n’ai jamais eu besoin d’une autre. Je rajoute souvent que c’est parce qu’elle était parfaite et qu’elle m’a donné tout ce qu’elle avait à me donner. Je souhaite à tout homme, et même à toute femme, d’être aimé ainsi par un parent car il peut ensuite vivre sa vie en ayant la capacité à donner, à son tour, ce qu’il a tant reçu. La conséquence étant qu’aimer sa mère, respecter la femme qu’elle était, t’oblige ensuite à respecter toutes celles que tu croises en ne la réduisant jamais à un obscur et parfois obsédant objet du désir.

Il était une fois dans l’Ouest, contrairement à un film comme The substance, est un film dont l’un des discours est foncièrement féministe. Il montre une femme qui se révèle être une prostituée qui se révèle un sacré bout de femme (comme le dit l’Harmonica en évoquant les propos admiratifs de Cheyenne) qui se révèle l’espoir dans un nouveau monde où les hommes rustres du passé n’ont plus leur place. Jill a survécu dans un monde d’hommes qui l’ont profanée, cherche la liberté, lutte contre son destin et la fatalité, en conservant malgré tout, avec un peu d’eau chaude et du savon, sa dignité. Finalement, deux de ces hommes vont l’aider et lui permettre de réaliser son rêve. Deux hommes vont vraiment l’aimer sans rien demander en retour, parce que c’est bien. Parce que c’est juste.

Je tombe ce jour sur une interview de Bruno Solo qui évoque, répondant à la question sur un souvenir cinématographique dont il aurait éprouvé l’érotisme intense, le moment durant lequel Jill et Cheyenne se retrouvent lorsqu’il vient visiter celle qu’il a prétendument rendue veuve. C’est déconcertant… J’aime bien Bruno Solo, mais il dit n’importe quoi. Intéressant comme la mémoire nous joue des tours et lui n’a pas dû voir le film une quinzaine de fois, alors on dira que c’est pas grave. Non, elle n’embrasse pas le Cheyenne, Jason Robards, à la fin de la scène. Et non, elle n’a pas les épaules nues et le poitrail excité dans cette scène (c’est l’Harmonica qui brutalement met fin à son désir de partir de la maison en transformant sa robe de veuve en robe d’été – il la « soumet » pour mieux la sauver des pistolero qui lui veulent du mal – l’Harmonica n’est pas doué pour la communication verbale et préfère la mise en scène !). C’est un peu gênant de voir des détails comme le désir de Jill évoqué par Solo, car justement, il n’y a jamais de désir chez Jill (même si oui, Jason Robards est très beau). Oui, Cheyenne est troublée par Jill, Franck/Fonda la viole, et l’Harmonica/Bronson campe jusqu’au bout dans sa masculinité monolothique. Tous les hommes dans le film témoignent de l’intérêt pour elle. Mais elle, à aucun moment du film, ne montre le début d’une excitation. Décrite comme une travailleuse du sexe qui suscite la nostalgie de ses anciens clients, à la toute fin du film elle témoigne de la naissance d’un sentiment amoureux par la puissance du regard de Claudia Cardinale. Sergio Leone respecte Jill, c’est elle l’héroïne, le personnage principal. Dans ce monde d’hommes, qui s’entretuent, qui s’exploitent, qui se méprisent, s’aiment, ce haissent, c’est elle qui est la source de vie et de bonheur. Bien sûr, c’est Leone, un homme conscient de la vulgarité de l’hypocrisie bourgeoise, donc il se devait, comme il le fera encore plus violemment dans « Il était une fois en Amérique » (et qui me rend difficile son visionnage), de montrer comment les hommes peuvent souiller cette beauté par pur égoïsme, par vulgaire bestialité. Mais il ne faut pas s’y tromper… la Femme est belle, par nature, là où l’Homme est force. Le regret étant que nous sommes dans le règne des brutes et que les femmes, malgré les « progrès » de pure apparence, ont encore de nos jours de bonnes raisons de ne pas se sentir, de ne pas se savoir, en sécurité. Leone le savait, voulait le dénoncer. Le viol de Jill par Franck est faussement doucereux, faussement érotique. C’est un moment de perversité où une femme cherche à survivre. Et Leone de montrer à la fin du film que sa dignité est intacte. Même si elle sera toujours un objet de désir, nous sommes tous des pauvres types, certains déguisant leur désespoir sous un humour douteux. Tel Cheyenne qui agonise en silence, dans un sourire.

Non, monsieur Solo, à la fin elle m’embrasse pas, pleine de désir, Jason Robards. Je pourrais écrire des pages sur ce que m’inspire le magnifique personnage de Cheyenne. Cet homme qui malgré une blessure fatale, vient passer ses derniers moments avec cette femme qu’il respecte et dont il ne sera jamais vraiment aimé. Qui prend le temps de se raser, se faisant les honneurs qu’un croque-mort n’aura pas loisir de faire. Qui s’en va en souriant sans lui dire ce qu’il ressent vraiment, après une ultime blague de mauvais goût, comme une ultime boutade, pour s’en aller mourir tout seul, là-bas, dans la poussière. Et elle, superbe, sublime, lumière tenace, à la fin, dans ce désert voué à changer pour le meilleur comme pour le pire… notre monde moderne.

A la fin du film, je suis comme le Cheyenne, je suis un peu amoureux mais je sais que je n’ai aucune chance. C’est un film, et je suis là, dans mon canapé, à contempler, un peu béas, cette femme grandiose, à admirer ce visage à la beauté farouche, presque aristocratique. Me vient le tableau de Delacroix, l’orpheline au cimetière. Oui, c’est ça. Une beauté sauvage, indomptable, sans vernis ni artifices, saisie sur le vif.

Les années ont passé, et Claudia Cardinale s’est éteinte à l’âge respectable de 87 ans. J’ai vu quelques photos d’elle, assez récentes, et l’usure avait fait son oeuvre. Pourtant, toujours aussi belle, à jamais aussi belle, car chose géniale que nous procurent les œuvres culturelles, elle sera à tout jamais Jill McBaine. Elle sera toujours ce magnifique visage, ces yeux animés par un beau feu noir, ce port de tête qui révèle une rectitude de l’âme et l’instinct de dignité. Elle sera toujours pour moi l’incarnation, dans une pure fiction, de la femme au combien respectable. Au combien désirable et donc au combien inaccessible… sauf si vous en êtes, heureux homme, l’élu.

Le pire, c’est que je me suis dit, il y a trois semaines, qu’ils étaient tous morts, des acteurs aux comédiens de doublage (j’adore la VF !!!), mais qu’il nous restait Claudia Cardinale.

C’est qui, déjà, qui chantait le temps est assassin ? Ah, oui, Renaud. Un autre Mister Renard ne peut chanter que des choses bien !

Adieu Claudia, merci pour tout, merci pour Jill, ça peut sembler dérisoire mais c’est pour un peu de ce dérisoire que ça vaut encore la peine de vivre. De voir et revoir « Il était une fois dans l’Ouest » et te retrouver pour ce qu’il me reste d’éternité.

Bon voyage Eric Legrand

Triste jour que celui où j’apprends, presque par hasard, la mort du comédien Eric Legrand. Alors la majorité des messages d’adieu de ses très nombreux aficionados a salué sa prestation en tant que doubleur de Végéta, le personnage de Dragon Ball Z, mais ce serait ignorer le véritable talent de ce comédien dont le timbre et le phrasé étaient tout simplement une forme de sublimation de la langue française.

Eric Legrand, c’était une voix de velours, une voix sublime, une musique noble et belle, pouvant rivaliser d’outrance comme de finesse. C’était pour moi une des plus belles voix du doublage, et j’ai l’immense regret de n’avoir pas pu assister à une prestation du comédien en dehors de cet art véritable, enfin reconnu, qu’est le doublage, bien que je l’ai identifié, très jeune, alors que j’avais 15 ou 16 ans dans un film avec Jugnot et Auteuil, alors qu’il jouait un employé de banque pris en otage. J’étais fasciné par le talent de cet acteur dont la voix, le phrasé, étaient pour moi l’incarnation de l’élégance et de la noblesse. Alors que je créais mes premiers personnages de fiction, j’avais décidé que cette voix serait celle de mon Odysseus, que j’imaginais intelligent, torturé, et très élégant. Une voix qui reflétait son panache et sa finesse, une voix mélodieuse, douce, toute de délicatesse et de caractère.

Comble de l’ironie, aujourd’hui je suis sorti avec mes gosses qui n’en sont plus, et sur la clé USB de ma voiture, j’ai eu la surprise de découvrir que j’y avais enregistré le générique de Capitaine Flam, avec la voix non moins sublime de Dominique Paturel récitant avec un talent inégalable la célèbre introduction. J’ai donc rendu hommage à Dominique Paturel, déclarant à mes gosses toute l’admiration que je ressens pour ces comédiens géniaux qui ont, par leur talent et leur générosité, conféré une part d’eux-mêmes à tous ces personnages de fiction, une étincelle d’âme à laquelle je suis et je reste profondément sensible. Et ce soir, découvrant le décès d’Eric Legrand, je ne peux que ressentir de la mélancolie en songeant à tous ces artistes qui nous ont récemment quitté.

Merci à vous tous, Eric Legrand portait si bien son nom, et j’espère un jour pouvoir vous témoigner, quand ce sera mon tour, toute ma gratitude pour ces moments de bonheur que j’ai vécu en votre compagnie. Vos voix résonnent en moi, j’entends la particularité de vos timbres mélodieux et bien que la mort soit une délivrance, je ressens de la tristesse à me dire que pour vous entendre à nouveau, je ne pourrais plus que m’en retourner à ce qui ne sera dès à présent que des archives. Je me ferai ce WE le duel entre Ikki et Shaka, alors que l’immense Henri Djanik rivalise de talent avec un jeune Legrand qui joue avec une justesse géniale celui qui incarne un ange terrible, infaillible, imperturbable, face à un homme bestial, faillible, désespéré. Parmi toutes ses prestations, c’est le Shaka de l’épisode animé par Araki qui à mes oreilles restera une magistrale démonstration de son immense talent, unanimement reconnu. Ou Seiya dans le troisième film avec Abel… Quand le personnage se révolte et dit « mais alors dites-moi, dites le moi… Pourquoi ce serait-on battu comme des fous ? Pourquoi ? »

Impossible de ne trouver qu’une pépite dans le parcours d’un être qui était par son talent un inépuisable filon… Bon voyage Eric Legrand, une prière pour toi, mais je sais que la beauté dont tu auras été prodigue toute ton existence aura sa récompense là où tu es parti.

Désaturation

Je suis allé voir le second volet de Dune de Denis Villeneuve, ne partageant pas l’enthousiasme aveugle de ma fille en trouvant le film très monochrome, d’une fadeur chromatique qui m’a poussé à m’interroger sur la potentielle déliquescence des bâtonnets de mes yeux fatigués. Une petite pensée pour une stagiaire que j’avais embauché, Clémentine, qui m’avait interpellé par rapport à la psychologie appliquée à la communication. Nous avions convenu de réaliser certaines expériences, et j’avais eu plaisir à constater, à mon grand dam, que certaines de ses assertions s’étaient révélées justes, comme cette fois quand, entre deux pubs, un simple changement de saturation sur un fond vert avait amélioré le score d’une publicité en print. Elle avait pris le temps de m’expliquer, alors, que les gens entre 40 et 55 ans étaient davantage séduits par des couleurs désaturées et autres tons pastels, ce qui s’était réalisé assez nettement. Oui, je sais, il n’est pas possible non plus de parler de réelle expérience établie dans des conditions pouvant réifier une potentielle vérité, mais je pensais vraiment que la pub ferait un bide – au contraire, elle a même un peu mieux marché qu’à l’ordinaire. Après, peut-être que je voulais que Clémentine ait raison, toujours dans une soif éperdue de sens, j’avais peut-être besoin alors d’en trouver dans des études et l’intérêt d’une personne à l’intellect aiguisé qui ne se suffisait pas de son très personnel sens du beau et de ses petites convictions esthétiques. Les métiers de l’image et de la communication demeurent une expérience intime et puissante sur les affres de la mesquinerie bourgeoise que tout professionnel endure à plus ou moins forte intensité.. Enfin, j’avais été éduqué sur l’existence des bâtonnets et leur rôle stratégique dans notre perception du monde.

Depuis Dune 2 (titre en soi assez comique), je teste ma vision en essayant de jauger si je souffre d’une inéluctable désaturation. Mon salon étant une jungle de plantes vertes, mes petites chéries, j’essaie de voir si les couleurs de leurs feuilles sont moins flamboyantes qu’à l’ordinaire. Et c’est pour le coup très difficile d’avoir un avis tranché sur la question. Comme toujours, condamné à l’enclos de la perception sans pouvoir changer vraiment de point de vue (au premier degré), je suis perplexe. Ce qui m’a poussé à écrire ce matin ce billet avec ce titre, car dans les faits je me demande si je ne vois pas le monde de plus en plus gris. La désaturation, chez moi, naît peut-être davantage d’une saturation. Le pire c’est que j’ai adopté un chat noir – heureusement que la nature a eu l’heureuse inspiration de le doter d’une paire de yeux émeraudes qui ne cessent de m’émerveiller à chaque instant que je les croise !

Saturation à cause de l’actualité. Après 50 ans de désindustrialisation intensive pour cause de financiarisation abusive, notre pays connaît le déclin inéluctable d’une nation qui continue de vivre sa tranquille trahison politique. Saturation à cause d’une l’idéologie nauséabonde qui me fait subir chaque jour un sophisme triomphant. Saturation à cause de tous les scandales qui émaillent notre société dont la corruption est devenue une réalité systémique. Saturation à cause du climat belliciste qui fait qu’hier j’entendais un professionnel de la mort de masse s’enthousiasmer sur la place de la France dans le commerce de l’armement. Petite pensée pour cette news dans laquelle des enfants maniaient des faux fusils doté de téléphone leur permettant de connaître les joies du shooting en milieu urbain grâce à la réalité augmentée, concept aussi abscons que l’intelligence artificielle. Saturation, aussi, de l’escroquerie d’une sémantique marketing qui s’insinue dans chaque pore d’un langage contaminé par l’ultra-libéralisme triomphant.

Ma fille a adoré Dune. En rentrant de la séance, je n’ai pas pu m’empêcher de tempérer son enthousiasme avec cette affaire de colorimétrie. Personnellement, je continue de penser qu’avec un poil plus de saturation dans ce désert gris, l’image aurait gagné en télégénie. J’ai toujours considéré cette inclination à la désaturation et à l’abus de pastellisation comme un travers d’un embourgeoisement que dévoile l’aliénation de la convention. Ah ! Cette bonne vieille teinte taupe qui faisait les beaux jours des devantures de certains magasins à la fin de la première décade de notre second millénaire. Quelle horreur que ce bordeaux marronnasse qu’on m’aura imposé tant de fois avec cet air faussement inspiré qui dissimule gauchement un bête mimétisme social ! Oui, je sais, l’abus de couleurs psychédéliques et survitaminées n’est pas non plus idoine. Soit. Mais entre les deux, n’y a-t-il pas un oasis dans lequel trouver une certaine et calme beauté ? La Joconde avec un peu moins de peps et ça deviendrait une grosse sauce de marrons noisettes qui ne ferait même pas un bon ersatz de Nutella. Je ne parle même pas de mon Delacroix adoré… que serait le Romantisme sans cet éclat fier de couleurs jetées comme des moments de colère ou d’humeurs prestement exaltés ?

Une fois encore, ce n’est que mon avis. Ma fille a adoré Dune 2 et ses images ternes… ou alors elle a adoré un film magnifique à l’image subtilement sobre et élégante. Paradoxalement, je ne pouvais m’empêcher de penser au Petit Prince et aux dunes colorées de Saint Exupéry. J’ai toujours considéré ce beau livre comme l’illustration d’un homme qui décrit la mort inéluctable de son enfant intérieur. Peut-être que j’essaie de protéger le mien en le laissant dans son désert coloré. Je deviens nostalgique des films de mon enfance, dans lesquels je revis une société toujours aussi bordélique mais qui transpire une envie, un désir, que je ne retrouve pas dans la frénésie suspecte des images d’aujourd’hui. Les couleurs sont vives, l’image transpire un naturel que les filtres d’aujourd’hui polluent un peu trop. En matière artistique, l’artifice s’ensuit souvent de l’artificiel. L’abus de procédés dévoile une tentation de camoufler le prosaïque tant abhorré. La volonté coupable de sublimer le banal en lui donnant la patine des clichés photographiques des magazines de mode.

Un truc qui me rassure quand même… c’est que je les trouve bien vertes mes petites plantes. C’est peut-être Dune 2 qui était par trop désaturé ? C’est sur cette note d’espoir fébrile que j’achèverai mon billet du jour avec un clin d’œil sur-batônnemisé.

Le légal, le moral, et les IA

HIer soir, ma fille m’a invité à une séance spéciale, car unique, d’un film adapté du manga Psycho-pass dont je ne connaissais que le premier épisode, découvert en sa compagnie il y a quelques années. Initialement, c’était un devoir de père de l’accompagner, mais à l’arrivée ce fut une excellente soirée à découvrir un très bon métrage. Je me moquais intérieurement de moi d’être resté sur mon Akira, meilleur métrage de l’animation japonaise, car à vrai dire si le chef d’oeuvre de Katsuhiro Otomo conserve sa superbe, il est à présent, malgré tout, marqué par certaines thématiques qui étaient alors en vogue… il y a peu, avec mon beau-frère, nous évoquions tous ces films des années 70-80 qui tournaient autour de la thématique des pouvoirs psychiques. Alors que je m’interrogeais sur la disparition de ce type d’intrigue, il m’a rétorqué très logiquement que les films de super-héros avaient complètement tué l’intérêt potentiel pour ce type de prouesse… et oui, l’emphase, l’hubrys, encore et toujours, qui tonnent et claironnent en commuant le son doux des choses délicates… J’aimais pourtant toutes ces intrigues faites d’individus particuliers suscitant la convoitise d’organisations plus ou moins obscures, toujours secrètes, et qui finissaient en bonne conclusion par faire la démonstration dantesque de leurs capacités. Furie de De Palma, Mai the Psychic Girl, l’échiquier du Mal de Dan Simmons, La grande Menace avec Richard Burton dont la VF me reste toujours comme une intense madeleine, Scanners, et donc Akira… Alors, la menace, la chose dont on attendait l’émergence comme sorte de grande (r)évolution à venir, c’était l’esprit humain, échappant au carcan du corps pour se sublimer, se transcender, dans une forme d’énergie cosmique, immanente, omnisciente.

Le film d’hier m’a plu mais il m’a aussi fait prendre conscience qu’à présent c’est bien à la machine qu’on voue cette sorte de culte étrange. Je constate, autour de moi, dans les médias, cette fascination pour ce qui désigné comme une « intelligence artificielle », nourrissant autant de craintes que de fantasmes. J’ai toujours été un homme profondément romantique, en cela que j’ai toujours été exalté et profondément rêveur. Le paradoxe c’est qu’on m’a souvent reproché ma froideur et ma distance, parfois même mon manque de cœur… J’ai juste le défaut de me méfier de mes émotions comme il est sage d’identifier avant toute chose sa propre nature. Qui fait l’ange fait la bête… De cette tension s’est nourri mon caractère qui fait que si j’adore, je n’idolâtre jamais… Si j’aime, je ne le fais jamais à moitié, je ne crois pas aux compromis, ces zones grisâtres qu’en ces temps ultra-libéraux certains veulent nous convaincre de l’utilité. Je ne transige pas avec la morale, je ne crois pas, à l’instar de la vérité ou de la justice, qu’on peut la transformer en un artefact narratif. Au petit matin, quand chacun de nous se réveille, c’est aussi le rappel de ces anges et ses démons qui composent la cour que nous formons au fil de nos vies. Les regrets, les remords, les actes manqués, les actes moches, nous font compagnie et nous escorte jusqu’au bout. Il est possible de trouver une manière de s’en accommoder, le déni et la corruption tacite sont des solutions très accessibles. Personnellement, j’essaie juste de consciencieusement éviter que le sérail s’agrandisse par trop. Et pour cela, la première règle c’est de ne pas se faire entraîner par autrui. Ne pas forcément « penser » comme ce que je désignerai les systèmes nous invitent à penser. Considérer les choses, c’est déjà les considérer en partant de soi. Le souci étant souvent que nous ne prenons pas le temps de réfléchir à la sémantique, à la signifiance de ce que nous regardons. Nous utilisons des expressions, des conventions, comme autant de « prêt-à-penser » qui dès leur acceptation, dès leur utilisation, nous entraînent dans des logiques perverses et transverses. C’est le cas, à mon sens pour les « IA », un acronyme qui dès le départ, à l’instar du mot « dieu », impose une identité et un ensemble de valeurs qui ne permettent pas de considérer le sujet dans la crudité de l’idée première. Car oui, le mot est une idée identifiée, habillée, vêtue et parée pour être manipulée à l’envi dans la maison de poupées qu’est le langage, qu’est la pensée.

HIer soir, donc, après le film, ma fille me demanda, curieuse, expectative, mes impressions… qui furent bien entendu positives et enthousiastes. Mais immédiatement, je lui confiais que je doutais que le public de ce genre de programme saisisse la portée philosophique du propos qui est, à mon sens, une réflexion au niveau systémique de l’ingérence de la technologie dans le fonctionnement des sociétés humaines. En bref, dans le film, des IA rendent plus ou moins obsolètes l’intervention humaine par une forme d’auto-gestion dont l’impartialité est à la mesure du caractère inhumain et mécaniques des mécanismes mis en oeuvre. Il y avait des propositions intéressantes sur l’idée des lois, sur la religiosité qui naît d’une adhésion au scientisme (à ne pas confondre avec la science tout court), sur la soumission à la technologie proportionnelle à notre démission à vouloir gérer nous-mêmes nos existences. Le paradoxe c’est que je compte très prochainement utiliser les IA actuels pour mon travail, ce que ma fille voit d’un très mauvais oeil. Elle a tenté alors de me clarifier son point de vue en m’expliquant que pour elle les IA menacent le statut de nombres de travailleurs, en premier lieu les artistes. J’ai tenté alors en retour de lui expliquer que le problème n’est pas l’outil, car les IA ne sont que ça, des outils, mais bien le fonctionnement et la philosophie des sociétés ultra-libérales qui deviennent la norme. Le souci n’est pas l’outil, ne sera jamais l’outil, mais bien la manière dont la richesse produite est redistribuée ou au contraire, accaparée.

A la fin du film, le personnage féminin principal commet un acte profondément christique, courageux, voire révolutionnaire. Je dois dire que ça m’a emballé comme m’avait emballé, il y a plus de 30 ans de cela, la fin de Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet. Ce moment charnière où un individu préfère son humanité, sa dignité, son intégrité, à la compromission qu’on lui propose. Je ne pense pas que ma fille ait mesuré l’invitation silencieuse à la révolte, je ne pense pas qu’elle ait discerné l’intelligence du propos… pas qu’elle en manque, au contraire, d’intelligence, à l’instar de ceux de sa génération… mais parce qu’elle est prise comme nous tous dans les rouages d’un systèmes qui ne nous donne pas le luxe de réfléchir vraiment, de considérer les choses dans leur ensemble. Le progrès dans le domaine des IA vient pourtant de nous forcer à faire ce boulot, au risque sinon de finir comme dans le métrage dans une société où mécaniquement tout est géré, et donc fourvoyé, perverti, par les maîtres mécaniciens. Étrange constat que nos sociétés, dénonçant constamment le manque grandissant d’humanité et de compassion dans les rapports humains comme sociaux, ne peuvent que se perdre dans ses promesses technologiques qui peu à peu, très insidieusement, échange la liberté contre le confort.

Comme un pacte avec le diable, c’est pourtant ce que nous sommes qui est en jeu. Il faut s’interroger sur le prix à payer, il faut considérer la duperie dans l’échange. Les IA ne seront que des outils si nous ne nous perdons pas dans une sacralisation excessive qui sert ceux qui veulent conserver le fonctionnement des systèmes à leurs bénéfices. Les IA seront nos maîtres si nous en faisons de nouveaux dieux, installant une théocratique technologique qui n’a besoin que de notre apathie et notre soumission tacite pour prospérer… dans tous les sens du terme.

La bande-annonce de l’excellent film vu hier, que je vous invite à découvrir :

Les sermons de minuit sur Netflix

Quand je suis sur une plateforme de SVOD je suis tour à tour perplexe, confus, puis découragé. Pourquoi ? Car la visualisation, par vignettes, des « produits » culturels, ne me procure que de l’image là où j’attends du sens, du conseil, du résumé, en bref, de quoi savoir ce dans quoi je m’apprête à me lancer. Je surfais donc nonchalamment ces jours derniers, quand je vis ce titre à la vignette peu inspirante. En cliquant un instant je vis quelques noms magiques ; d’abord celui de Mike Flanagan, puis celui de Stephen King. J’ai un grand regret en ce début d’année, de ne pas avoir vu Doctor Sleep que beaucoup de critiques ont fini par consensus à saluer, juste parce que j’ai encore commis l’erreur de me faire attiédir par une impression partisane avant la sortie du film (du genre « après Kubrick, c’est mort ») et parce que j’ai le réflexe, depuis l’adolescence, de me défier de tout ce qui est trop populaire/populiste… deux attitudes qui ont retardé souvent ma découverte de purs chef-d’oeuvres, bien que durant très longtemps, les préconisations de la revue Madmovies furent une boussole solide. Je trouve à présent, et de manière générale, dans la presse mais aussi sur le web, que la subjectivité prend trop de place – même si le fait d’apprécier une oeuvre doit compter, la reconnaissance de ses valeurs intrinsèques comptent également ; un bon critique ne doit pas dire s’il a aimé un film, mais s’il est possible que le récepteur de son avis puisse l’aimer, en énumérant les qualités visibles, les thématiques, les originalités, etc. Me vient l’exemple de la critique récente d’un film qui ne l’est pas, par ce cher Simon, Jupiter ascending, sur Youtube. J’ai commencé à écrire un commentaire argumentant mon propre point de vue, et finalement je ne l’ai pas publié (pourtant il faisait trois pages, comme tous mes commentaires par ailleurs – que voulez-vous, j’aime écrire, j’aurais beau le répéter il y en aura toujours qui ignoreront cette logorrhée fulgurante qui me caractérise à la vie comme à la scène). La raison étant qu’au moment de valider l’envoi de mon opinion (toujours) éclairée (par une supernova, au moins), je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idée, finalement, d’intervenir dans une exercice de célébration que je trouve un peu pervers (que je qualifierai avec un brin de facétie de réhabilitation par excès de ferveur personnelle). J’ai une philosophie (parmi une pléthore), qui est de ne jamais gâcher le plaisir d’autrui ; si je n’aime pas quelque chose, si je suis d’avis contraire, tant qu’il n’y a pas un discours politique ou idéologique, mon réflexe est de fermer ma grande gueule et ne pas parasiter le bonheur des autres. Ce n’est même pas de la tolérance, quel vilain mot, c’est juste qu’un tout petit pas vers la sagesse élémentaire que d’avoir conscience que notre individualité n’est pas une référence… enfin, je ne me perdrais pas encore dans les ramifications de mes digressions, il suffit de voir un chef d’oeuvre comme le Goût des autres de Jaoui/Bacri pour s’éduquer un peu sur la question.

Mais, et c’est le lien avec ma digression, je n’ai rien vu passer sur les Sermonts de minuit. Rien dans le Mad Movies du mois dernier, rien sur Youtube, alors que pour les deux séries Haunting y avait quand même pas mal de monde pour commenter, encourager, plébisciter ou contester. Mais là, rien, plein feux sur Matrix 4, plein feux sur Spiderman, mais que dalle sur la nouvelle production/réalisation de Mike Flanagan. Un peu surpris, beaucoup curieux, j’ai lancé la mini-série, et là un petit bijou, encore (j’ai adoré les deux saisons de the Haunting), avec une intrigue très « kingienne » (petite bourgade ricaine, suite de petits portraits typiques, plein d’anti-héros masculins, des femmes fortes (oui, King n’a pas attendu le néo féminisme pour faire de magnifiques héroïnes), des figures religieuses), en bref, c’est plein d’humanité, d’émotions, magnifiquement mises en images par Flanagan, bien joué par des acteurs parfaits (syndrôme American Horror Story, avec le retour de certains acteurs de the Haunting (1 & 2)… en bref je me régale et je me bingwatch le tout (en trichant pour fêter le 31 et dormir un peu mais j’ai fini ce matin au réveil) et là ce qui me frappe, c’est la raison pour laquelle il y a cet étrange silence autour de la série. L’analogie avec ce qui passe avec le/la covid, le vaccin, le passe sanitaire… quand on voit que l’intrigue, finalement, nous parle d’une croyance détournée pour imposer à une communauté des certitudes qui finissent par la détruire… je me doute que ça devient politique sans le vouloir !

Pourtant, il faut regarder la série en se libérant de tout ce climat anxiogène. Il est question de foi, il y a une très intelligente réflexion sur les religions et notamment un passage où le shérif de confession islamiste, fait la promotion de sa foi sans nier celle des autres ! Ce qui me rappelle mes échanges avec des amis musulmans, il y a quelques années, quand je leur avais demandé pourquoi ils étaient devenus musulmans (l’un était arabe, ingénieur, l’autre d’origine française, converti) ; le premier m’avait répondu que comme pour un programme (il était ingénieur en informatique) il avait choisi la version la plus récente (!) et l’autre m’avait confié, de manière énigmatique et stimulante qu’il y avait des vérités cachées (codées) dans le Coran. Etant profondément laïc, je suis paradoxalement pour la totale liberté religieuse. Il faut créer au sein de nos espaces publics ces dialogues autour des croyances, sans les imposer, sans en faire la promotion. Même quelqu’un de profondément athée ne doit pas imposer sa certitude et finalement un certain fanatisme (comme si ne croire en rien était une preuve d’intelligence). La série présente ces thématiques de manière humaniste et brillante, car si au prime abord on pourrait interpréter le récit et sa résolution comme une charge contre la foi, elle est surtout la dénonciation des certitudes par la religion.

J’ai été personnellement très touché par la conclusion de la mini série en sept épisodes, que j’ai trouvé belle, très réussie, poétique, symbolique, puissante. Ma réflexion, proférée à voix haute (oui, je suis fou comme disait ma défunte maman, je parle souvent tout seul) c’est que j’adore les ténèbres mais jamais je ne pourrais me passer de la lumière du jour. Tous ces personnages, à la fin, qui se tournent vers le soleil, comme présence divine symbolique, procurent à l’histoire une dimension mythologique. La thématique de la lumière, sa perception, est par ailleurs poétiquement illustrée et finement traitée.

Bon, bonne année 2022 (j’ai failli oublié, mais parler de soleil vient de me rappeler que tout ça clôt une pleine révolution autour de son auguste personne) et n’hésitez pas à voir cette série, elle est juste stimulante, un nouveau coup de maître de la part de Mike Flanagan qui réussit vraiment à saisir l’essence des oeuvres du grand King.

Le syndrome de la Tour de Babel

Je me suis réabonné à Netflix. Après, j’ai été un des premiers abonnés. J’ai tout de même 4 chromecast à la maison, dont 3 maintenant qui sont stockés dans la réserve du matos informatique que je me suis constitué depuis 20 ans. Mais je suis passé il y a un peu plus de deux ans à ce petit bijou de Nvidia Shield qui me sert de caster à tout faire (Netflix, Prime, Youtube, Steam, etc.).
Bref, je me suis réabonné à Netflix. J’ai des petits coups de nerf parfois, je suis de ceux qui prennent des mesures radicales et un peu brutales quand ça me gonfle. Là c’était un film inepte (mais alors à un point), où on voyait un jeune couple emménager dans une maison pour régler des petits problèmes d’adultères (sic) provoqués par des petits comportements dysfontionnels (sic) eux-mêmes causés par des petits comportements moralement odieux (sic) faisant l’écho à tous les problèmes de l’humanité car dans la dite maison la même histoire avait presque déjà eu lieu (sic sic sic). Ecrit comme une suite de clichés et d’archétypes confinant presque à la blague lourde (perso j’aurai appelé le film « la valse des égocentriques »), le coup de grâce d’Aftermath (c’est le titre du truc : « Conséquence » en français, donc… oui, il y a un peu de philosophie de comptoir là, après c’est juste du fait divers sensationnaliste, ne rêvez pas) résidait dans sa conclusion qui se permettait, l’air de rien, une petite déclaration politique bien vacharde. Encore en bref, il y avait cette dureté pragmatique qu’on bouffe actuellement de partout de la part de tous ces gens qui savent comment régler les problèmes (notamment avec les « intrus » qui violent notre territoire). Qui savent comment traiter tous ceux qui nous empêchent de vivre notre petit bonheur matérialiste avec leurs drames à la con et leurs pathétiques destins d’inadaptés sociaux. Là, j’ai senti que les auteurs et Netflix me disaient sans prendre de gants que je n’étais plus la cible. Trop vieux, trop idéaliste, trop humaniste peut-être… ou alors plus jeune, pas assez cynique, pas assez dur peut-être. J’ai trouvé les « héros » odieux (mais c’est quoi ces gens qui pensent régler des histoires de trahisons en s’achetant une baraque ?!), invraisemblables (« l’héroïne » immensément talentueuse avec son atelier mode) et vertigineusement creux (à la fin on vend la baraque, comme ça plus de névroses et de soucis). Un film poubelle, un film miroir d’un certain état d’esprit, avec un discours à la fois antisociale et anxiogène… qui m’a motivé à me désabonner comme une grosse goutte d’eau splotchant dans un vase déjà trop plein.

Puis, j’ai vu passer les critiques ciné de « Don’t look up » un peu partout. Des bonnes, des qui te poussent à remettre en question tes grands serments, qui te font philosopher sur l’extrémisme du mot « jamais », qui te chuchotent à l’oreille que y a que les cons qui changent pas d’avis… et même si tu sais que es perdu pour la cause car tu n’as plus d’illusions sur toi-même, petite chose humaine perdue parmi une pléthore d’autres petites choses humaines, tu finis le dimanche soir à repartir pour un tour, histoire de voir un film au prix d’une place de ciné (puis ils m’ont tous saoulé avec Squid Game, et après deux ans d’attentes j’ai vu qu’il y avait de nouveaux épisodes de Jojo’s). Et j’ai vu le film. Et avant de me mettre au boulot (je piaffe d’impatience après tous ces mois de labeur incessant), ce matin je me lève et j’écoute la critique sur la chaîne Youtube de France Culture. Et donc ça me motive à balancer à la volée ma propre impression.

J’ai un cerveau étrange, une sorte d’organisme indépendant qui vit sa propre vie. Donc, je regardais la critique (avec le son, hein, ne commencez pas à dire que je faisais preuve d’inattention), quand une petite musique a commencé à résonner (j’adore toujours l’homonymie avec « raisonner ») dans mon crâne, devenant un petit peu entêtante alors que j’entamais mon deuxième café. M’attardant un instant à identifier la mélodie trublionne, je me rendis compte, effaré (j’ai envie de sortir plein de termes décalés ce matin, c’est mon coté facétieux qui se déchaîne), qu’il s’agissait de « Land of Confusion » de Genesis.

Petite madeleine de Proust surprise : on est en 1986, et je vais m’acheter le 33 tours du dernier album de Genesis, « Invisible Touch ». J’aime tellement cet album que je n’hésiterai pas à l’offrir, quelques mois plus tard, à un copain pour son anniversaire. Un petit bijou, il m’arrive encore d’écouter souvent le morceau « In too deep » que je viens par ailleurs de remettre en fond sonore avant d’achever cette phrase . Mais ce matin, c’était le morceau précédemment cité qui m’était venu en « commentaire », « Land of confusion ».

A ce moment précis de ce billet intempestif, je suis à la croisée des intentions et des sensations. Je regarde l’heure et je me dis qu’il serait peut-être temps de m’y mettre (au boulot), enfin si je veux accomplir la tâche de la journée (baptisée pragmatiquement « faire le fond des cases »). Je me dis que j’ai déjà écrit beaucoup, ce qui n’est pas un souci en soi, mais qui ne mène à rien dans cette idée d’un lectorat souffrant d’un déficit permanent d’attention et donc d’intérêt (φ(k) = At), et que finalement la pirouette stylistique et critique pourrait s’accomplir, non sans brio, en explicitant le titre de ce billet et en expliquant la référence musicale. Dont acte, je vous ai déjà donné tous les gages de mon génie et la profondeur de mes références culturelles. Comme je l’explique régulièrement à ma fille, elle-même dans la « com’ », « interroges-toi toujours sur l’intention ! » – et vous, esthète de la forme, contemplez cette savante utilisation des guillemets français et anglais dans une même phrase).

Dont acte : Don’t look up est dans la lignée du titre de Genesis (paroles + clip : souvenir de l’émission Spitting Images qui étaient la version enragée des Guignols de l’info outre atlantique) la démonstration du syndrome de la Tour de Babel. Où quand une volonté supérieure s’ingénie à semer la division par l’entremise de la confusion et de la dissonance, qui s’incarnent dans le chaos politique et sociétale (que seule la parodie, la caricature, peut synthétiser dans une oeuvre de fiction). Ne plus parler la même langue, c’est ne plus se comprendre, c’est aussi ne plus s’écouter. C’est l’échec de la synergie sociale, sociétale, qui signe le début de la fin. Sur France Culture ils ont bien tourné dans le bocal mais il manquait, à mon sens, cette petite précision qui résume tout. Le film ne parle pas tant de fin du monde, n’est pas tant la caricature ou la parodie de notre société ultra médiatique et corrompue (j’ai un article plus sérieux en brouillon que j’ai intitulé « la guerre des alétheia » qui sortira peut-être un jour – oui, je sais, vous avez hâte), que le constat désenchanté de cette impossibilité, de plus en plus nette, d’une concorde. Dans le récit biblique, la construction de la tour est interrompue, empêchant l’homme d’égaler Dieu. Et Dieu symbolisant l’éternité, il n’y a plus que la mort à la fin du récit, celle qui emporte tout.

Conclusion vertigineuse, dramatique et un poil émouvante qui va clore ce billet sur une note heureuse et optimiste.

Et Joyeux Noël (au sens païen ou non, restons insolemment laïc) au passage (mdr).

Note : la chronique de France Culture et le clip de Genesis – oui, citons les sources (et ça fait des illustration habillant de manière ludique et colorée ces grandes pages blanches remplis de verbiage).

Don’t look up – Teaser in french by Netflix
La chronique de France Culture
Land of confusion

Jupiter’s Legacy le 7 mai sur Netflix

Je suis fan de Mark Millar depuis ses frasques scénaristiques au début des années 2000… Je le qualifie souvent d’iconoclaste, car c’est pour moi l’un des premiers à avoir « cassé » l’image nette et respectable de certains superhéros, en allant jusqu’à mettre en scène leur mort dans des conditions souvent choquantes. Après, avec le temps, certaines choses sont devenues un peu des gimmicks scénaristiques, comme par exemple sa propension à dépeindre des génies comme des intellectuels dotés d’une sorte de précognition logique. Derrière cet assemblage (…blague ?) fumeux, je veux dire qu’il part du principe que par pur raisonnement logique, on peut aller jusqu’à anticiper des actions complexes, notamment concernant le comportement d’autrui (généralement, le génie en question retourne psychologiquement un personnage moins intelligent en quelques mots bien sentis). Mais lire du Mark Millar, c’est se préparer, avec délice, à l’imprévisible et au sensationnel. Sur ce blog, il y a quelques années, j’avais ainsi donné mon avis sur Old Man Logan où déjà je vantais l’iconoclastie de Mark Millar (bien avant le Logan de James Mangold)… Après il y a eu Redson, les productions ciné originales (Kingsman), enfin Mark Millar a surfé intelligemment sur l’adhésion du grand public à un genre qui était, quand j’étais gosse, comme beaucoup d’autres choses (le manga, le jeu vidéo), réservées à des grands enfants soupçonnés d’immaturité chronique. J’ai accepté depuis longtemps ce terrible fardeau.

Quand Jupiter’s Legacy est sorti, je me le suis donc procuré, et j’ai guetté la suite car le cliffhanger du premier tome était juste parfait. Puis j’adore le style d’une sobriété pleine de sens de Frank Quitely, ce qui fait de ce comics un véritable plaisir total. Venant de découvrir l’adaptation à venir le 7 mai sur Netflix, je n’ai pas pu m’empêcher de venir taper ce petit billet avant de me mettre au boulot (deux pages de storyboard, 4 de dialogues pour aujourd’hui…) et j’attends donc avec impatience le 7 mai pour me bingwatcher la série (avec le plaisir coupable de pouvoir comparer avec la BD – déjà spoilé mais avec le plaisir de pouvoir conseiller mes proches mdr).

Comme par hasard (humour), sur Prime, j’ai découvert Invincible, une série animée adaptée d’un comics de Kirkman, le scénariste de The Walking Dead. J’ai un avis assez partagé sur Kirkman car j’aime ce qu’il fait (des dialogues savoureux, des personnages profonds et complexes, des situations déstabilisantes, une noirceur où brille toujours une faible lueur d’espoir) tout en voyant les influences, voire des inspirations dérangeantes (le début de The Walking Dead c’est juste la repompe de 28 jours plus tard de Danny Boyle). J’ai arrêté the Walking Dead au volume 20 (avec Negan qui explose littéralement un des protagonistes principaux – trop nihiliste pour moi), surtout à cause d’une lassitude des longs couloirs de dialogues que je trouvais à la fin irréalistes, voire surréalistes. Je suis un bavard, un hableur, et je suis un de ces personnages improbables qui te sort un discours interminable nécessitant une capacité d’attention et d’adhésion que je n’ai rencontré, à vrai dire, que chez mes hamsters nains (mais il n’est pas impossible que ces petits malins me dupent). Invincible, je ne l’ai donc pas lu parce que pas vraiment saisi par le génie de Kirkman. Mais quand une adaptation a pointé le bout de son nez sur Prime Vidéo il y a deux semaines, je n’ai pas ergoté et j’ai découvert le bidule. Enthousiasmant, mais diantre, que ça me fait penser à du Millar, avec le même mécanisme d’installation puis de destruction amenant réellement l’intrigue à venir. La sortie des ces deux productions (le mot actuel serait plutôt « contenu » – voire mon billet précédent sur le sacré :-p) est peut-être l’introduction d’un nouvel épisode dans la mode des superhéros, après les versions pulp et populaires de Marvel, voici venir l’iconoclastie et l’irrévérence que le succès de la série « The Boys » sur Prime a clairement initié/encouragé/stimulé.

Au début du teaser on voit la fameuse île, et c’est juste ça que j’avais regretté dans le comics initial… il y avait comme un parfum du Planetary de Warren Ellis et Cassaday (un de mes préférés), mais ça ne reste qu’au stade de la fragrance (j’avais écrit d’abord écrit « flagrance », lapsus sémantique ?), là où j’aurais bien fait bombance (la rime est offerte par la maison).

https://youtu.be/mEkFEZAsmFI

Bertrand Tavernier, la vie et rien d’autre.

Mort de ce cinéaste aujourd’hui, et moi qui écoute l’énumération de tous ses grands films, car il y en a eu.. et qui revient toujours à celui là, La vie et rien d’autre qui par le hasard des choses est disponible depuis peu sur Netflix. Un film que j’adore, qui est un de mes préférés, et que pourtant j’ai du mal à revoir. Pourquoi ? Car étrangement, quand c’est trop fort, j’ai un recul maintenant, à revivre certaines émotions trop puissantes. Quand j’ai vu le film, j’avais 20 ans (hier donc), et j’ai immédiatement été bouleversé par l’histoire, magnifiquement contée car Tavernier était un vrai cinéaste avec un sens aigu de l’image et de la mise en scène… mais encore par le personnage de Philippe Noiret qui, je m’en rends compte en écrivant ces lignes, n’est pas si éloigné de celui de Stéphane dans Un coeur en hiver, cité récemment sur ce même blog. Dans les deux films, on voit deux hommes cyniques, se réfugiant dans l’absurdité de la vie professionnelle, rassurante car mécanique, leur permettant d’échapper aux relations humaines, incertaines et donc dangereuses. Dans les deux films, des femmes pètent un plomb pour dire à un homme de vivre et d’être enfin vrai, d’arrêter de jouer à être plutôt qu’être vraiment. Cette scène, dans la vie et rien d’autre, dans laquelle Azéma donne à Noiret toutes les cartes pour que commence une magnifique et belle histoire d’amour, qu’il gâche affreusement, presque comiquement… et le rattrapage, le sauvetage, la rédemption, comme dans le film de Sautet, à la toute fin, cette fois via une lettre, moyen tellement plus facile pour une parole captive… Voilà, Tavernier est mort, Sautet est mort, tout s’achève ici, enfin matériellement car personnellement ça n’a jamais été ma conviction. Pourtant, ce film, déjà dans son titre, nous dit une grande vérité, à laquelle nous pouvons croire dans ce monde de chimères et de faux semblants. Oui, la vie et rien d’autre, et aussi beaucoup d’amour et de paix, message final de ce film génial qui me fait penser à mon père, un homme de chiffre, lui aussi captif de cette numération infernale. La méduse mathématique qui peut faire croire que le vertige de la raison permet d’oublier le bonheur de la sensation réelle. Mais non Papa, la vie et rien d’autre, comme le filmait si bien Bertrand Tavernier.

Après, la voix magique de Philippe Noiret, acteur juste génial, au timbre unique, lisant cette lettre finale, ça reste un trésor qui m’émeut bien plus que toutes les versions de Roméo et Juliette réunies. Et je vous l’ai trouvé en plus, donc si vous ne voulez pas vous faire spoiler/spolier, n’hésitez pas à plutôt aller voir le film. Sinon faites comme moi, et régalez vous de ces formules surannées, soutenues, maniérées, affectées, qui me restent dans ma mémoire atavique comme l’écho d’un monde perdu.

Une soirée avec Claude Sautet

J’achève ma soirée sur Arte avec Claude Sautet, mon cinéaste favori, une petite tête devant Sergio Leone, mais comme toujours avec moi, l’éclectisme est de mise. BIen qu’en y réfléchissant un peu, les deux cinéastes ne sont pas si éloignés que ça avec une inclination à saisir la vérité des sentiments et des émotions dans les regards et les non-dits. Ma fille était venue une fois encore me briefer sur son workshop (un anglicisme que je trouve assez loufoque vu le contexte : un cours) quand je l’invitais à savourer, en ma compagnie, les derniers plans d’Un coeur en Hiver, mon film favori de Sautet (avec Max et les ferrailleurs, ex-aequo). Ah… cette scène magnifique, de deux personnes qui s’aiment, qui n’ont pas su se trouver au bon moment, et qui par un dernier échange de regards se donnent une seconde chance qu’on se plaira d’imaginer, ou non, avec cette fin délicieusement ambiguë (avec les deux points sur le « e », au bout de 20 de correction auto ça y est, c’est rentré).

A un moment donné, Patrick Dewaere expliquait sa vision du ciné de Sautet que je partage complètement. Sautet était le cinéaste, par excellence, des non-dits. Et surtout, il illustrait cette passion froide mais puissante qui peut saisir un être mu par sa passion sincère, par des sentiments qui dépassent la raison pour bousculer le raisonnable et le quotidien. Ce soir, j’étais ému par le personnage de Camille, interprétée par cette actrice hors norme qu’est toujours restée Emmanuelle Béart, en dérive totale car tourmentée par un amour qui la dépasse et la submerge. J’aime voir Max péter un plomb à la fin des ferrailleurs pour sauver la pute dont il s’est servi, et dont il s’est, bien malgré lui, amouraché. Et le pétage de plomb d’Auteuil dans Quelques jours avec moi, et la volte face de Piccoli dans les choses de la vie. Ce cinéma me manque, cette finesse me manque, cette lenteur dans la description des émotions me manque, dans les productions actuelles où tout est, comme trop de choses, normé, rapide, marketé.

Ma fille n’a pas pris le temps de savourer le dernier regard de Camille à Stéphane, me sommant de lui donner mon avis sur une question tierce, génération sous pression, génération dans l’angoisse bien réelle d’un avenir flou. Plus de temps pour les regards, plus de temps pour ces questions et ces affaires secondaires, à l’heure où les passions se rédigent à distance et en public sur des réseaux qui deviennent, trop souvent, des vitrines pas moins transparentes que celles d’Amsterdam. Pourtant, ce soir, dans le dernier regard de Stéphane à Camille, dans son petit sourire, il y avait un espoir si grand qu’il pourrait servir d’inspiration. Tout n’est perdu que lorsqu’on abandonne, tout reste possible tant qu’on veut y croire. C’est naïf, peut-être, mais ça reste beau.

Et de deux, Dune

Le teaser de Dune est sorti, et après avoir vu les réactions de certains Youtubeurs, j’ai eu l’envie de revenir sur ce blog abandonné, pour cause de projets créatifs un poil accaparants.

Pourquoi l’envie ? Car Dune, pour moi, aura été, en premier lieu, une histoire d’amour littéraire, pas que ça parle d’amour, mais parce que j’ai aimé ce putain de cycle en vivant tout ce qu’on peut connaître dans une grande histoire d’amour… la passion, l’enivrement des sens, l’intemporalité d’un attachement, une fidélité entretenue par la richesse puissante d’une œuvre sans pareille (pour moi et ma pauvre culture en la matière).

Dune, j’ai dévoré les livres et bien entendu, ce qui a été le plus fort dans ce moment d’aventure culturelle, est mon admiration, encore intacte, pour un auteur, Frank Herbert, juste puissant, dans son intention comme dans la concrétisation de celle ci. Dune est avant tout un roman brillant, au pur sens du terme. D’une profondeur incroyable, abyssale, un sommet non de SF mais bien de littérature, dans son sens le plus noble et le plus beau.

Donc après ça, et depuis toujours, je fais partie de ceux qui pensent que Dune est inadaptable au cinéma, à la TV, en jeu, en ce que vous voulez, car même si un génie de la peinture peut créer une toile magnifique figurant la beauté d’une aurore, l’œuvre ne vaudra jamais l’aurore elle-même. Dune est une expérience dont la richesse, dont la substantifique moelle pour reprendre une expression délicieusement métaphorique un brin soutenu (oui chérie, je te dédicace ce passage), ne peuvent qu’être trahies ou simplement impossibles à rendre sur un écran. Les images ne sont que des images, là où les mots sont des allégories, des porteurs de symboles, des créateurs de monde. Ceci dit et convenu, on peut quand même concevoir qu’il y ait de bons films inspirés de Dune. J’ai aimé le Dune de Lynch, qui apporte en soi, presque de manière démentielle ou blasphématoire d’ailleurs, des concepts nouveaux (alors que la richesse du matériau originel n’est pas respecté, dans l’idée de la mission impossible précédemment évoquée). Œuvre bâtarde, résultat de ce qu’est la production d’un film où chacun donne son avis là où le sujet ne pouvait être qu’une vision, celle d’un artiste, celle d’un homme qui devient dieu de l’image pour créer un univers. Kubrick, Jodorowski étaient de ceux là, on a fait comprendre à Lynch, à l’évidence, que les théocraties n’avaient plus le vent en poupe à Hollywood. Mais j’aime l’esprit du film, cette cérébralité au cœur du film, celle de ce messie qu’est Paul, cet homme qui devient dieu (autre roman de Herbert qu’il faudrait que je me décide à finir d’ailleurs), puis qui chute, dans un cycle dont tout ce que le grand public ne connaît vraiment n’est qu’un tout petit prélude.

J’écris cet article car je suis tombé sur une vidéo putassière sur Youtube, dont l’idée est juste de profiter de la vague créée par l’annonce du teaser. Je dis vidéo, mais non, c’est bien une putasserie, mot bien moche, mais qui pour le coup décrit bien le principe : un titre et hop, le travail de critique est fait. Enfin une variante du critique, le boucher critique, ou le critique à la sauce 2.0 spé 280 caractères. Donc, je vois « Dune, à la croisée de Starwars et de GOT ». Et sincèrement, j’en ai marre, mais marre, mais marre, qu’on dise que Starwars a tout inventé, là où si j’étais méchant (je ne le suis pas, sinon ce serait bien pire), je dirai que la saga avec les Jedi n’est rien d’autre que Starwars pour les nuls. Oui, je pourrais être méchant si j’étais un youtubeur enragé souhaitant véhiculée sa sainte parole, rien qu’en mettant en exergue l’abomination d’une saga en 9 épisodes qui est la quintessence de l’incohérence scénaristique… le premier SW donc le quatrième (tiens, encore un argument démontrant que c’est construit n’importe comment), déjà, pille Dune. J’ai pas envie d’aller faire de l’archéologie culturelle pour voir les idées et les talents qui ont été débauchés à l’époque du projet de Jodorowski pour atterrir sur le SW de Lucas. Je vois juste que ça se passe sur une planète désertique, que le héros a un énorme potentiel caché, que son mentor utilise la voix, qu’il y a une princesse plus intelligente que la cruche attendant qu’on vienne la sauver, un empereur et un empire, et j’en passe… SW emprunte à Dune, SW est le récépissé d’une influence, d’un phénomène culturel d’une époque, celui que fut Dune, déjà. Alors, lire maintenant que c’est l’inverse, parce qu’à la « croisée » d’une autre œuvre, ça me fait mal.

Oui, je sais. On va me dire que c’est parce que le but, c’est chercher à retrouver l’effet SW, maintenant que celui s’est étiolé dans le désastre narratif qu’il a connu au fur et à mesure que les chercheurs d’or ont tenté de prendre une part du butin en tamisant à l’aveugle dans le gros filon devant eux. Oui, le studio veut certainement que le film devienne un objet de vénération, d’adoration, donc source de profit, comme a pu l’être et l’est encore, SW. Après, et c’est juste élémentaire, l’oeuvre initiale n’est pas facilement accessible car sèche, froide, philosophique, panoramique, comme son héros, très cérébrale. Paul est un dieu en devenir, mais avant tout c’est un homme qui pense, qui crée de vertigineux raisonnements sur tout ce qui l’entoure. Pour devenir un Dieu créateur, il se met en devoir, déjà, de comprendre le monde qui l’entoure, de résoudre les énigmes de cet univers fascinant qu’est Dune. Un univers qui ne tient qu’en quelques volumes, 7 je crois, que j’ai dévoré jusqu’à découvrir avec horreur que l’auteur n’avait pas eu la décence de rester en vie pour écrire la suite. Frank Herbert, tu seras toujours pour moi la seule personne sur terre pour laquelle j’aurais tenté de trouver un remède à la mortalité. Le champion du cliffhanger suprême. Et en si peu de volume, si on imaginait un truc à la SW, on pourrait imaginer deux trois aventures du même tonneau, rondement menées. Non, en si peu de volumes, le bonhomme dessine une histoire qui se déroule sur des millénaires, en posant de grandes thématiques qui sont au delà de l’érection d’un empire nazi voulant étendre son désir colonialiste sur un univers qui l’air de rien, sera toujours si infini qu’il ne peut en avoir, dans le fond, que rien à foutre.

Concernant GOT, c’est encore pire… S’il y avait l’espoir de voir de la fesse bien tendre et des choses coquines qui excite le bourgeois inhibé, encore… mais non, le roman d’Herbert ne se perd jamais là-dedans. Allez, en pensant à mon favori, le fils et pas le père, Léto, je pourrais imaginer un truc japonais avec un gros ver lubrique. Sauf que son vice à celui là est juste de cloner, indéfiniment, celui qui va le tuer. Saisir l’essence de Dune, c’est à la fin de l’empereur Dieu qu’il est possible d’en saisir un peu la vibration, dans le sacrifice/suicide, dans la délivrance expiatoire et sacrificielle du monstre qu’est devenu Leto, comme son père, Dieu vivant devant mourir pour que vive l’univers.

Bonne chance pour traduire ça en film. Mais j’ai hâte de voir le film de Villeneuve, sans le comparer à rien, car oui, un cinéaste plus que doué, une histoire magnifique, des bons acteurs, des images qui promettent bien, ça me suffit à me dire que je vais passer un moment de folie.

J’ai donc hâte, mais pitié, ne me parlez pas de SW ni de GOT.