Quelle période folle ! Beaucoup d’entre nous ne perçoivent pas ce qui se passe mais nous vivons tout simplement la fin lente mais certaine d’une manière, d’une méthode, d’une stratégie, de présenter les choses, d’arranger les faits, en bref de substituer un narratif plus ou moins bien savamment construit en lieu et place du réel.
Alors oui, le « réel » est une chose très floue, un concept comme un autre, car du fait de notre subjectivité, nous sommes tous les otages de notre perception du monde, et ce qui nous relie ce sont bien le canevas des croyances et des conventions que nous partageons. Il y a quelque chose de fascinant de constater à quelle point les humains croient en des artefacts aussi éthérés que les nations ou en certaines idées encore plus floues comme peuvent l’être la démocratie ou la liberté. Mais finalement, vivre n’est-ce pas pour chacun d’entre nous de tenter de donner du sens, d’adopter des croyances, pour s’y raccrocher tout au long du parcours de vie ? Toujours, je serai condamné au terrible constat qui m’a frappé alors que j’avais tout juste 7 ans : rien n’a de sens… Il ne reste donc qu’à tenter d’en donner, même si parfois le tentation de céder à l’acceptation de l’impermanence menace (à ne pas confondre avec la menace de l’incontinence qui pèse sur chacun d’entre nous à plus ou moins longue échéance).
A l’évidence, les orfèvres de la manipulation des masses ont bien compris combien la puissance médiatique était, par exemple, un levier terrible pour influer sur nos perceptions. Tous les jours, je constate combien l’agenda médiatique répond à des intérêts bien précis et surtout bien privés, et comme tout est orchestré pour influencer et non pour informer. Ah, les sondages ! C’est délirant comme ces pseudos méthodes d’estimation d’une opinion qui serait « publique » ont pris une place prépondérante dans la discussion médiatique. Ou, comment des échantillons peuvent prétendre refléter l’incroyable hétérogénéité d’un peuple désigné avec emphase par leur nationalité : les fameux « français ». Les sophistes en abusent par ailleurs : « j’ai rencontré les français », « tous les français veulent », « ce qui intéresse les français », et j’en passe ! Toujours ça tourne au jeu de rôle du représentant suprême dont l’oreille fabuleuse aurait réussi à saisir le son pourtant complexe d’une masse de 68 millions d’âme pour en restituer la substantifique essence. Personnellement, et bien que je me sente profondément français, jamais ces gens là n’évoque mon opinion ou mes idées. Nous devons être peu à les avoir, mes opinions, donc elles sont dissoutes dans la dense fusion des millions d »autres, contradictoires, dans un processus finalement démocratique où la majorité l’emporte sur le reste. Ben c’est pas joli joli ce mélange de haine et d’intolérance, cette volonté sourde de toujours désigner des êtres creux comme ses maîtres, pardon, ses représentants. Sans rire.
Tout ça n’est qu’artifice, et pourtant, jamais les sondages n’auront autant servi de pavés pour préparer le chemin de nos votes, quitte à en faire des tonnes et surtout quitte à dévoiler à quelle point tout ça n’est qu’imposture et escroquerie.
La France va mal, et ça ne va pas s’arranger. En fait, ça ne peut simplement pas s’arranger. Il n’est pas possible de faire son bonheur sur la misère des autres, et c’est pourtant le choix qui a été complaisamment et consciemment fait par une certaine classe sociale qui s’est abandonnée totalement aux gains que lui a promis puis apporté une idéologie néo/ultra/libérale, et surtout très immorale, de l’économie. Nous sortons de plus de quinze ans de délire monétaire, nous sommes à la fin d’un chemin comme le seraient des héros d’un conte juste avant sa conclusion (ce serait plutôt du Andersen pour le coup). Et la tactique pathétique d’user encore et encore de boucs émissaires caractérisés par leur insigne faiblesse pour faire diversion et surtout canaliser la rancœur et la rancune ne sera plus salutaire. Il y a quelque chose de fascinant, encore une fois, à entendre les éditorialistes et autres analystes déplorer que la nouvelle réforme du chômage visent encore ceux qui recherchent un emploi avec comme dessein de les motiver à accepter les royales 350 000 offres qui seraient tout simplement boudées par des armées de profiteurs qui vivraient dans une insouciante farniente. Il faut que le dormeur se réveille : cette réforme ne vise absolument pas les chômeurs (dont ce pays et ses représentants s’en foutent très complaisamment), mais ceux qui sont salariés et qui pourraient, dans un proche avenir, perdre leur travail. C’est une réforme serre-les-fesses sponsorisée par ceux qui vont encore te vendre une énième assurance pour commuer la peine. Tu frappes tant que la victime est sidérée, pourquoi s’arrêter en si bon massacre ?
Les motivations de ces exactions politiques, de ces décisions aussi brutales que foncièrement cruelles et injustes (les cotisations restant les mêmes), sont à chercher dans un désir d’installer un ordre social qui, comme je l’ai écrit à maintes reprises ces dernières années, n’ambitionne qu’à revenir à une féodalisation notamment dans les rapports sociaux. Il y a la conscience d’une minorité qui possède et qui souhaite tout mettre en oeuvre pour forclore tout idée même de contestation ou de rébellion. Ce qui est pourtant à la fois une insigne preuve de stupidité comme un terrible aveu d’une crainte profonde. Toute notre économie est à présent artificielle, tout obéit à un narratif qui tremble devant les coups de boutoirs d’un réel que les agences de notation ne représentent absolument pas, faisant partie du problème, mais qu’elles annoncent quand même à bas bruit. Un mélange entre un requiem et une musique militaire, rien de gai là-dedans, c’est clair.
Entre ceux qui prétendent que la dette c’est pas grave et ceux qui gravement annonce l’effondrement, il y a de quoi se poser des questions. La vérité, encore une fois, est entre ces deux eaux. Oui, une dette en soi n’est jamais grave tant qu’on a les moyens de la rembourser. Oui, une dette est grave quand on a pas manière ou moyen de générer ce qui est dû et encore moins quand il n’y a plus de cash dans la poche. Ce qui est terrible, c’est que ce sont ceux qui ont fait exploser les compteurs qui ont œuvré à dévaster les moyens de s’en sortir. Incompétence ? Stupidité notoire ? Très haute trahison ? Corruption systémique prévalant sur la raison la plus élémentaire ? J’ai tenté d’expliquer au début du « quoi qu’il en coûte » la roublardise de la manœuvre. J’usais alors de la métaphore de l’argent pris dans ma poche, dont on me redonnait avec magnanimité une toute petite part en me disant qu’on m’avait dès lors sauvé de la ruine. J’ai pris conscience alors combien ces questions logiquement économiques ne parlent qu’à trop peu de personnes. Nous sommes un peuple, nous « les français », qui a été soigneusement déséduqué. Biberonné avec des mots comme la démocratie, la République, la Liberté, la fraternité, qui auront été vidés de leur sens réel pour ne représenter qu’un mode de vie consumériste et faussement idéal.
Très naïvement, j’ai pensé au début de la crise du COVID qui demeure un grand moment en soi, un traumatisme illustrant combien toute crise est source d’opportunités pour certains systèmes prédateurs, que c’était l’occasion de mettre un frein à l’hubrys avec l’accord et la concertation de tous. Le choix de l’argent magique, délirant de la part de celui qui s’en était défendu, aura défoncé les derniers bastions de ma candeur. Je n’ai pas la prétention de détenir la vérité parfaite, je me suis donc demandé si le choix se révélerait payant, à la longue. Si j’avais tort, si la corruption systémique n’était pas aussi terrible que je l’estimais. A l’arrivée, j’avais bel et bien tort, cette corruption, véritable rapacité organisée, est encore bien pire que je l’avais envisagé. Encore une fois, la volonté de parasitisme jusqu’à tuer l’organisme nourricier a démontré la névrose, c’est bien le mot, d’une minorité qui n’en a absolument rien à foutre de l’intérêt général.
Nous sommes entrés dans une période fascinante qui va voir s’affronter deux blocs, ceux qui possèdent et ceux qui sont exploités. Je ne fais pas ici dans la finesse, surtout que dans un proche avenir il est prévisible que ceux qui possèdent, surtout pas grand chose, soient exploités (coucou l’épargne, coucou les résidences secondaires !) mais comme toute possession n’est en soi qu’une croyance partagée et acceptée, le contrat va être pour les générations futures d’accepter d’être spoliées des richesses dont la jouissance est déterminée par la très relative légitimité de l’antécédence. Planter un drapeau avec « preums » ne suffit pas. Il faut aussi que celui qui arrive juste après accepte tout ce que le principe impose. Cette société de l’exploitation ne tient que par ça : la soumission à une prétention qui n’est en vérité que ça. Si encore, il y avait une sorte de répartition, une sorte de justice qui empêcherait les abus de l’accaparement, qui permettrait à chacun, raisonnablement, d’avoir son petit bout à soi, il serait possible d’imaginer que les choses s’améliorent. Mais non. Un peu de concentration, beaucoup de concentration : nos PME le sentent bien passer actuellement. Il en est ainsi des marchés qu’ils se partagent tant que tu as les coudes pour t’y promener : dès qu’on te coupe les bras, c’est déjà plus difficile.
Qu’arrive-t-il à un pays qui ne produit plus de richesses matérielles et concrètes pour se consacrer à l’abus de processus rentiers qui vampirisent les flux monétaires plutôt que les irriguer ? Qu’arrive-t-il à un pays qui est consciencieusement pillé et plombé par ce qu’il serait honnête de déterminer comme une véritable guerre économique, à bas bruit ? L’austérité et la rigueur sont encore deux beaux syllogismes qui sont agités comme des solutions à ce qui ne serait qu’un problème budgétaire, gestionnaire, alors qu’en vérité il n’est pas possible d’attendre de récolte d’une terre qui aura été méticuleusement pillée puis stérilisée.
Il y a de la panique, il y a une sorte d’hébétement, chez une élite qui constate que tout leur échappe. Il y a eu, un temps, de l’euphorie à voir comme il était facile d’influencer les candides, les naïfs, les stupides, les mous comme les apathiques (un vrai tour de passe passe). Il y a une fascination emprunte de dégoût en voyant les mêmes oser ne plus penser, ne plus agir, comme il est entendu, en promettant d’aller voter pour la bête immonde. Les médias réduits à des caisses de résonance jouent le jeu, tandis que leur crédibilité est mise à l’épreuve avec dureté. L’idée de la collaboration, la vilaine, revient dans nos psychés trop habituées à ne réagir et à ne penser qu’avec la parallèle de la seconde guerre mondiale. Beaucoup d’observateurs un brin sagaces osent remarquer qu’en France le travail n’a pas été bien fait, au moment où il fallait faire la part des choses, déterminer la responsabilité de certains, veiller à empêcher le retour de certains hubrys. Demain, nous allons fêter le Débarquement, l’opération Overlord en langage codé, traduction : Suzerain. 70 ans plus tard, devant ce qu’il reste de notre pays, est-il préférable d’avoir peur d’être traité de complotiste ou de con tout court pour ne pas constater ce que nous sommes devenus ?
Personnellement, je suis très impatient de voir les résultats de prochaines élections européennes pour voir si les pythies sondagières auront délivré de bons oracles ou encore réalisé un travail de bluff et de persuasion efficace avec le médiatique nudge marketing qui veut que je n’ai pas encore reçu, à trois jours du début du scrutin, les professions de foi. Jamais l’invisibilisation très volontaire, la théâtralisation, le déni démocratique, la validation ploutocratique (t’as pas d’argent t’existe pas) n’auront été aussi manifeste pour réduire le choix à ce qui n’est qu’un janus politique, à la fibre très clientéliste : la Majorité et RN. En alternative, impossible à totalement invisibiliser pour faute d’une popularité encore vive (reste la décrédibilisation et la diabolisation), la Gauche à la dérive avec un PS vestige et incarnation de ce qu’il aura toujours été, soit une gauche de classe moyenne ; et la LFI, honorable dans ses indignations mais dans le fond peu révolutionnaire avec une illusion de la réforme (encore) et l’idée saugrenue de pouvoir dompter la technocratie européenne (vu les affaires de corruption qui ont eu peu d’écho, ça promet). Pour le reste, une armée des ombres, qui à la manière des résistants de la seconde guerre, sont cachés et peu audibles (s’il venait à certain d’épouser leurs idées). Cependant, c’est bien dans ces volontés farouches que se trouvent peut-être notre salut, notamment avec le courant souverainiste, de gauche comme de droite, qui rêve d’une résistance à la déliquescence. Chiche que « souverainiste » remplace bientôt complotiste ?
Je suis quasiment sûr qu’il y aura un vote sanction, mais j’ai l’audace de penser que cette fois ce sera surtout la dénonciation d’une classe sociale déconnectée des besoins et des souffrances de ce qui compose l’essentiel du peuple. Si c’est le RN qui emporte la mise, comme tous les sondages l’annonce, ça permettra de faire la clarté sur le positionnement d’un parti qui reste purement réactionnaire avec la fragilité de n’avoir absolument aucune colonne vertébrale idéologique (le racisme suspecté n’en étant pas une). Que se passera-t-il du coté de la gauche ? Le travail médiatique va-t-il réussir à diaboliser et donc punir le bloc radical (LFI) en faisant qu’une gauche de droite nous refasse du hollandisme ? Ou au contraire, va-t-on assister à un rejet de cette vision née dans une France à la centralisation toujours et encore coupable avec un vote massif de ceux qui croient en l’universalisme et les vieilles idées marxistes ?
J’aimerais que plein de petites listes parviennent à placer des représentants. J’aimerais que toute la superficialité d’un système démocratique apparaisse avec la conscience d’une spoliation par ce qu’il serait commun de désigner comme une aristocratie technocratique (kratos kratos). Mais je suis aussi maintenant trop habitué à constater que notre peuple s’est résigné ou s’est converti aux fausses idoles en espérant, pour certains, en récupérer quelques miettes. Quoi qu’il arrive, quelque chose se passe. Un très grand et profond changement. Pas forcément une révolution, mais pour que celle-ci advienne, il faut toujours une phase de chaos, nécessaire pour se substituer à l’apathie tétanisante. On y va, tant bien que mal (enfin plutôt mal) et ça ne sera certainement pas une partie de plaisir, car personne ne sera épargné.
