Un temps de grisouille, je vois le vent qui agite mollement les branches des arbres que j’aime toujours autant contempler au petit matin, sentinelles rassurantes d’un monde vert qui résiste encore, et je me dis que l’écriture me fera, comme toujours, beaucoup de bien. Souvent, je me fais interpeller sur les réseaux sociaux où j’abuse, un peu, de rhétorique, en essayant, un poil, de faire ce qu’on appelait avant avec beaucoup de sérieux, de l’esprit. Très souvent, et j’avoue que ça me touche, je suis remercié. Parfois, et ça me titille, je me fais tacler. Il n’y a pas si longtemps, j’ai donc commis le doux péché d’un peu de pédanterie facile parce qu’agacé par un exercice de rhétorique que je trouvais à la fois facile et pour tout dire, léger dans le fond. Une chaîne que j’aime suivre, des gens qui ont construit leur paroisse sur la prétention d’une vérité par les faits (déjà, ça enfonce pas mal une porte ouverte), sans jamais comprendre que ces fameux faits doivent toujours passer par le filtre ô combien déformant de la subjectivité (un conte de faits n’est-il pas conte de fées ? Rhôôô, on peut déconner quand même !). Inévitablement, mais n’était-ce pas le but finalement, j’ai eu mon troll en retour, ce que j’appellerai tout de même un gentil troll, celui qui vous agresse sans injure mais avec la perfidie facile du claniste surprenant un intrus en train de chiper des chips dans la cuisine, ébahi que ce dernier ose, en plus, taper la discute. J’ai répondu avec verve, s’en sont suivis quelques échanges toujours courtois, et j’ai naturellement déguerpi une fois mon larcin dûment assumé et malgré tout commis. Mon troll se demandait le but de mon commentaire un peu trop « littéraire » à son goût, interpellant sa « communauté », un terme qui me fait toujours sourire car dans cette dure période de la simultanéitude cynique (ou du « en même temps » si j’ose dire), les mêmes prétendre se battre farouchement contre le communautarisme.
Petit aparté (sisi) : Mon fils, il y a deux jours, devant un kebab, me sortait la fameuse sortie de « l’enfer c’est les autres » sans avoir la décence d’en connaître la référence. Personnellement, je ressens une réelle amertume de nos jours à voir tous ces gens qui étiquettent ces « autres » qui ne font pas comme eux en les classant dans ce que j’appellerai les tiroirs de l’infamie : communautariste, complotiste, conspirationniste (oui, il y a une fine nuance que je commenterai un jour), fasciste, pour celui du haut, et imbécile, fanatique, dérangé du bocal, imposteur, escroc, pour celui du bas. En bref, car je vois que je me perds déjà dans les méandres de ma pensée prolixe, des gens qui illustrent la saillie misanthropique de Sartre sans comprendre que sans eux il n’y a pas non plus l’espoir d’un quelconque paradis. Fin de l’aparté (vous avez lu, c’est passé tout seul).
Là j’étais cet autre, bénéficiant quand même d’une forme d’immunité préalable qu’assure un propos sans couleur politique ni prétention idéologique. J’étais accusé du crime véniel de la pédanterie, et mon dieu, il est vrai que j’étais foncièrement coupable. Je le suis à chaque ligne que j’écris ici. Je ne le suis pas car j’ai l’espoir qu’un lecteur potentiel s’abîme d’extase en me lisant, je le suis car je ressens celle de l’écriture. Je fais partie de ces quelques heureux énergumènes qui aiment, vraiment, la poésie. Les mots sont pour moi de la musique, je les aime car ils sont à la fois sens, sons et signifiance. Sens car ils indiquent, son car ils font ensemble des harmonies, signifiance car grâce à eux il est possible d’accéder à une conscience des choses tellement plus profonde que la réalité abrupte de la simple matérialité.
Petit, j’adorais les lego, car en quelques manipulations inspirées, il était possible de créer des bribes d’univers pour pouvoir, ensuite, mettre en oeuvre de sympathiques et si divertissants paysages mentaux. Si j’ai fini par me lasser des petites briques (à neuf ans je croyais encore que le bonheur serait éternel), les mots ont encore pour moi cette heureuse fonction. Mieux, ils se révèlent chaque jour comme une quête à la fois merveilleuse et inachevable… Jamais je ne les connaîtrais tous, jamais je ne pourrais vraiment en saisir toute la puissance, et pourtant chaque nouveau mot me réserve sa petite étincelle de philosophie en se rajoutant telle une nouvelle note dans mon petit solfège personnel. Tiens, il y a deux jours, je croise le mot archegète, que depuis je ne cesse de manipuler mentalement. Un mot à vrai dire impossible à placer dans une discussion sans prétendre que le but soit bêtement narquois… mais j’avoue que ça pourrait m’arriver, juste parce que j’adore le son nouveau qu’il peut produire tout en amenant une ludique signifiance. Tiens, application pratique : dire que Mitterrand à l’instar d’un Napoléon a poursuivi l’ambition d’un archegète en camouflant sa malhonnête mégalomanie me ferait bien rire. Et c’est là, prise de conscience cruelle, que je me rends compte que mon humour ne fait rire que moi.
Comme ce matin, donc, mais quel bonheur que l’écriture. Notez que je n’appelle pas ça de la littérature, un mot qui pour moi reste encore un peu abscons. Je n’ai pas encore tranché sur le fait (une vérité accomplie, donc) que ce soit de l’affectation ou véritablement la manifestation d’un esprit aux idées supérieures. Je me méfie de la classification facile qui utilise le terme « bourgeois » à toutes les sauces, une étiquette de plus pour la classification facile dénoncée un peu plus haut dans mon propos, mais je reconnais qu’une des tares les plus terribles de nos sociétés modernes est bien l’embourgeoisement. Cette tentation de se penser ou se croire, un jour, meilleur que les autres par la jouissance facile d’une sophistication somme toute artificielle (ou d’une banale information qu’on se réserve pour exploiter la crédulité ou la candeur d’autrui). Alors oui, tout ça c’est de l’écriture, c’est de la pensée rapide, c’est du lego mental, c’est du jeu et je m’éclate à débiter mes âneries avec la ferme volonté de soigner ma prose. Je pourrais citer alors les récompenses Steam que je récolte régulièrement pour mes contributions que je qualifierais humblement de fantasques, mais je conclurais tout ça en abusant du langage des oiseaux, chers aux alchimistes : le mot « expression » peut se comprendre aussi en détachant le préfixe « ex » et le radical « pression » : en résumé, sortir la pression.
Bon dimanche.
