L’escroquerie du consentement

Ce matin, pendant le boulot, j’écoutais l’interview de Francesca Gee par Alexis Poulin, sur son excellente chaîne Youtube du Monde Moderne, quand elle a abordé la question du consentement comme un processus visant non pas à procurer ce qui pourrait se définir comme un processus défensif contre certains abus notamment d’ordre sexuel (mais pas que) mais bien à couvrir les abus d’une couche plus ou moins opaque de permissivité involontaire.

J’ai déjà trop écrit sur ce blog cette semaine, mais l’actualité est surchargée, pour cause d’une corruption qui fait que les scandales à la fois se succèdent et à la fois perdurent. Pour le coup, j’ai trouvé cette interview, outre les informations qu’elle fournit sur le triste cas de la pédocriminalité, très intéressante pour cette réflexion sur l’aspect manipulatoire du consentement. Je suis déjà revenu sur ce blog sur le sujet d’un sophisme consciencieusement appliqué pour escroquer par la confusion du sens, notamment sur un billet qui dissertait sur la névrose « constitutionnelle » à mon sens nourrie par une vision romantique voire romanesque de la démocratie. J’ai insisté sur la duplicité, la tromperie, qui reposent en l’établissement d’un contrat pour prévaloir sur tous nos actes à la fois moraux mais également citoyens.

En bref, des lois ne peuvent qu’obliger alors qu’il faudrait que l’individu par lui-même adhère et participe pleinement à ce qui profiterait à tous. En désarmant l’individu de son libre-arbitre, en le rendant incapable par lui-même de formuler un but sociétal clair reposant sur une vision lucide et avertie du cadre systémique qui l’abrite, il n’est plus qu’un jouet, un simple individu consumériste, un idiot plus ou moins utile perméable à toutes les influences qui sauront se jouer à la fois de sa candeur et de ses illusions solidement entretenues. Penser que l’ordre et la loi sont des solutions, c’est volontairement ou non participer à transformer nos sociétés en tyrannies tristement organisées : la solution c’est veiller à une justice élémentaire, fondatrice de tous nos échanges tant publics que commerciaux. Ne pas concevoir, comprendre, que la misère organisée et volontaire est source de troubles profonds est une vilainie de plus. Hors, le consentement serait pour Madame Gee une énième escroquerie philosophique pour couvrir ceux qui sont en position de domination dans nos sociétés ploutocratiques. Et en y réfléchissant, ce qui semblerait une mesure salutaire se dévoile davantage comme une argumentation juridique de plus pour camoufler à la fois le crime et le problème.

A un moment, Alexis Poulin ne comprend pas le piège pour des adultes ; pourtant, le but d’un contrat, notamment, est bien d’ensevelir la sève du propos sous des couches bien sirupeuses et souvent malicieusement tarabiscotées pour tromper le souscripteur qui imagine simplement, trop simplement, que de toute manière tout est fait pour l’équilibre des parties. Tant de promesses merveilleuses pour qu’à la fin on vous renvoie au petit alinéa qui vous dit que non, y aura que dalle. Et encore, le principe devient de plus en plus à vous renvoyer à de longues relectures dudit contrat même si tout va bien. Je te dis non, et toi débrouille-toi pour revenir vers moi en structurant ton « mais j’insiste » en me disant par où je te suis obligé. Une loi salutaire ? Celle qui obligerait les abuseurs de paperasse à te payer le préjudice de ton temps inutilement sacrifié sur l’autel de l’odieuse roublardise.

L’esprit de contrat est pourtant dans notre démocratie française, à la base sur le principe d’équité entre les parties. Je ne suis pas un expert en droit pour connaître et comprendre tout ce qui a amené à cette volonté, mais oui, à la base un contrat établit un rapport d’égalité entre les deux parties dans un processus d’échange en veillant qu’il n’y ait pas un déséquilibre dans l’échange. Une petite pensée pour la Hollandie qui aura bien défoncé le droit du travail et couvert les abus des licenciements économiques en exemptant son plus grand ennemi des conséquences de tous les abus de la désindustrialisation frénétique que la France a connu les quinze premières années de ce nouveau millénaire.

Que cette volonté d’égalité, comme tout le reste, soit devenue accessoire, est le cas d’une faillite morale que nous devons tous constater. Je renvoie aux vidéos de Rémy Watremez sur sa chaîne Juste Milieu qui aborde la question du cas de Marine Le Pen avec une conscience des enjeux de cette affaire ; clairement, il dit bien que MLP est coupable, mais que le coeur du scandale réside dans l’impunité de tous ceux qui depuis des années ont fait pareil ou pire… et qu’ils sont légion. En bref, des lois, des contrats, s’ils ne sont que des leviers pour créer des injustices ou pire, couvrir des abus, dévoient leur fonction première. Ok pour condamner Marine Le Pen, mais quid de tous les autres, de notre cher premier ministre jusqu’aux abus des sociétés de conseil ? Nous avons même un exempté par prescription, cette horreur légale si pratique, à la tête du Conseil Constitutionnel. Cette corruption généralisée, à ciel ouvert, n’est permise que par notre impuissance organisée, par notre tacite… consentement.

Nous devrions tous être capables d’y voir clair, de comprendre, de discerner, de faire la part du bien et du mal. Mais dans une société où la confusion est à la fois entretenue et où les organismes formateurs ne veillent qu’à rendre les individus productifs, c’est compliqué d’avoir une pensée claire et structurée. Nous nous sommes tous habitués, au fil des ans, à cette corruption tacite et devenue par la force de choses plus que visible – tolérée, admise, autorisée, permise, fais ton choix. Nous avons tellement laissé les médias nous dire ce qui était bon ou mauvais, nous avons tellement laissé notre conscience au rythme des agendas et des lignes éditoriales des faiseurs d’opinion dont la voie est amplifiée, sur-capitalisée, faisant taire les grognements de la masse rendue invisible et monstrueuse (coucou les gilets jaunes), que sous couvert de « progrès » de nouveaux mécanismes de contrôle et de manipulation sont minutieusement mis en place.

Dans l’idéal, il faudrait que l’Etat soit le défenseur du citoyen qu’il représente. Mais dans nos sociétés libérales, nous en sommes tous remis à nous-mêmes pour assumer à la fois nos errances et nos erreurs personnelles, mais aussi celles que nos représentants prennent pour nous (de la damnation par la dette). L’adhésion, le consentement, l’élection, sont des processus qu’il faudrait entourer d’une claire vigilance, non pas pour circonvenir au manque de responsabilité de l’individu, car la question n’est pas non plus de pêcher par la défense de la désinvolture, mais bien pour ne pas rendre coupables des victimes par abus de candeur.

C’est un débat compliqué, car hier encore, j’écoutais Anouk Grinbert sur France Culture qui racontait la triste histoire de sa vie en prise à une société patriarcale qui a laissé des hommes abuser de celles dont leur devoir est de veiller et de respecter. Pour moi, c’est une logique de prédation, celle qui domine dans la nature, mais qui, dans le règne humain, devient en plus d’être une logique cruelle (devoir manger ce que nous dominons) devient une logique perverse (car dégagée du besoin de la pure survivance). Encore ce matin, j’écoutais des professeures sur Tocsin qui en revenaient encore à cette logique de l’ordre pour l’ordre, car ne comprenant pas que l’école ne pourra jamais se substituer parfaitement à l’éducation parentale élémentaire. Pourtant, il faut éduquer nos enfants, et par défaut, nous éduquer nous-même. J’explique souvent que mes parents ne m’ont pas éduqué, j’ai été réduit à moi-même, avec ce que ça représente de bon et de mauvais… mais j’ai eu la chance de profiter d’une saine exemplarité. Mes parents étaient des gens généreux, d’une bonté évidente et claire. Si les choses n’étaient pas formulées, elles étaient incarnées, et c’est ce qui m’a permis à la base d’avoir bon fond et à présent de pouvoir structurer mon propos par la sagesse qu’ils m’ont permis d’acquérir. Chez mes parents, il n’y avait ni consentement ni adhésion, il y avait juste à agir pour le mieux sans porter préjudice aux autres. Quoi qu’en disent les réfractaires à la morale élémentaire qui confondent souvent leur rejet de la religion et le besoin élémentaire d’une moralité comme ensemble de valeurs permettant de mieux vivre ensemble, nous avons plus que jamais, à l’heure d’aujourd’hui, besoin de retrouver la prégnance de l’identification de ce qui est bien ou mal dans tous nos échanges inter-relationnels (voire extra-relationnels, ne soyons pas économes de bonne volonté).

Je tenais à vous dire, Madame Grinberg, vous qui n’irez certainement jamais sur ce blog obscur, que j’ai personnellement arrêté de regarder « Mon homme » quand c’est très rapidement devenu un spectacle dégradant, du voyeurisme triste, comme tous ces tortures -porn qui sont à mes yeux l’accomplissement de cette triste jouissance à supporter la souffrance d’autrui comme un spectacle de plus parmi tous les spectacles. J’aimerai vous dire que non, tous les hommes ne sont pas des brutes, que ce n’est pas une affaire de sexe mais bien de conscience. Une conscience qui n’est pas une question de genre ou d’idéologie, juste un positionnement moral, existentiel, considérant chaque chose avec la volonté d’agir pour le mieux. J’ai beau, personnellement, remettre la question sur l’autel philosophique chaque jour, j’en reviens toujours à la nécessité d’une ambition personnelle de participer à l’avènement d’une société humaine plus juste et responsable, plus sage et noble. L’éducation ne peut se suffire de n’être qu’un dressage, qu’une domestication. Elle doit devenir une méthode propédeutique d’émancipation pour que chaque individu aie les moyens de faire pour lui comme pour les autres, les meilleurs choix.

Fait étrange, à la manière de la tolérance qui induit l’intolérance contenue, le consentement induit l’abus consenti. C’est cette triste vérité dont il était question ce matin, chez Alexis Poulin. C’est le piège qui nous menace tous, dans un monde de sophistes, quand tout devient sujet à escroqueries et manipulations par la nature foncièrement polysémique des mots. Accepter son sort, ce n’est pas admettre qu’il était souhaité. Attention à ne pas faire de la résignation un sacrifice volontaire.